Législation Les Marocains sont-ils en train de laisser filer une occasion d'avoir un débat de société sur l'âge de mariage ? L'Observateur du Maroc a suivi de près une réforme majeure, passée inaperçue. Le 12 février, dans l'une des salles de la Chambre des représentants, les parlementaires membres de la Commission législatives et des droits de l'Homme discutent à huis-clos une question de société fondamentale : Quel serait l'âge du mariage idéal au Maroc ? Ce débat a été suscité par la proposition d'amendements de l'article 20 du Code de la famille qui autorise aux juges de donner des dérogations pour le mariage des mineurs (moins de 18 ans). Cette proposition dont se sont saisis les députés suscite la colère des ONG féministes qui exigent tout simplement la suppression des articles 20, 21 et 22 autorisant les dérogations. Mobilisation des féministes Fouzia Assouli, militante qui est de tous les combats en faveur des femmes, ne cache pas sa colère. La présidente de la Fédération de la Ligue démocratique des droits des femmes (FLDDF) et coordinatrice de la Coalition du printemps féministe pour la démocratie et l'égalité voit dans ce projet « un recul ». Elle s'explique : « Cette proposition de ramener l'âge minimum du mariage à 16 ans est en contradiction avec toutes les lois nationales qui reconnaissent l'âge de la majorité à 18 ans. Pourtant, la Constitution est claire sur les engagements internationaux du Royaume ». Ce projet mobilise la galaxie féministe. Les associations de défense des droits des femmes rassemblées dans le Collectif du printemps féministe et la Coalition Printemps de la dignité pour une législation pénale qui protège les femmes contre la violence et prohibe la discrimination mènent campagne contre ces amendements. « Nous avons contacté les femmes parlementaires et l'ensemble des groupes au parlement pour les sensibiliser à cette question. Il ne faut surtout pas laisser passer ce texte », insiste Saida Idrissi Amrani, membre du bureau national de l'Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM). Dans leur plaidoyer, les ONG concernées ne manquent pas d'arguments. « Feu Mohamed Taib Naciri, ex-ministre de la justice, avait déjà publié une circulaire interdisant aux juges de marier les moins de 17 ans », rappelle Assouli. Et d'ajouter : « Une jurisprudence existe donc. Or aujourd'hui, le législateur veut nous faire reculer. C'est juste désolant ». Même son de cloche de sa collègue Idrissi Amrani : « Alors qu'on se réjouit de la révision en cours des fameux articles 475, 485 et 486 du Code pénal, on nous sort cette question de l'âge de mariage à 16 ans. On dirait qu'on avance d'un pas en reculant de deux autres ». Il faut bien savoir que l'histoire de cet amendement visait un autre objectif. La petite histoire d'un grand amendement Tout commence en 2011, Zoubida Bouayad, conseillère de l'Union socialiste des forces populaires (USFP) à la Chambre des conseillers propose un amendement des articles 20, 21 et 22 de la Moudawana. « L'esprit du premier projet visait à limiter au maximum le mariage des mineures », explique Bouayad. Deux ans après, ce projet est sorti des tiroirs pour lui donner une autre teneur. « Le ministre de la Justice n'a pas voulu prendre en compte notre proposition de modifier le texte original et fixer l'âge à 18 ans. Maintenant que le texte se trouve à la Chambre des représentants, nos collègues vont s'opposer à ce texte pour qu'il ne passe pas. Hélas, l'esprit de ce projet ne rejoint pas ma proposition du départ », regrette Bouayad. Adopté par la Chambre des conseillers, l'amendement en question devrait connaitre le même cheminement chez les Représentants. Fouzia Elbayad, est parlementaire de l'Union constitutionnelle (UC) à la Première chambre. Membre de la commission législative, elle se veut rassurante : « Cet amendement est à l'ordre du jour de nos travaux. Nous allons approfondir le débat dessus et prendre en considération les doléances de toutes les parties avant le vote ». Ce qui surprend le plus les féministes, c'est l'amendement controversé ne résoudra pas la problématique du mariage des filles mineurs. Les statistiques du ministère de la Justice et des libertés pour l'année 2011 indiquent que le mariage des filles mineures est en progression. La proportion des mariages de celles âgées entre 16 et 18 ans dépasse les 93%. « La pratique du Code de la famille a fait de l'exception la règle », regrette Assouli. Du côté de l'Exécutif, Bassima Hakkaoui, ministre de la Solidarité, de la femme, de la famille et du développement social, que nous avons déjà interrogée sur le sujet reste évasive : « Je ne sais pas quel est l'âge idéal du mariage. Tout dépendra du débat qu'on pourra avoir. Est-ce qu'on choisira 16 ans, 15 ans ou un autre âge ? Ce n'est pas à moi de le décider ». Face à un parlement et un gouvernement dominés par les conservateurs, les féministes tiennent à un âge du mariage à 18 ans. Idrissi Amrani de l'ADFM est ferme : « Conformément aux lois nationales qui fixent la majorité civile à 18 ans, nous exigeons l'annulation des articles 20, 21 et 22 du Code de la famille qui constituent une violation des droits à l'éducation et à la santé des petites filles et une entrave à leur pleine citoyenneté ». De son côté, le Collectif du Printemps féministe et la Coalition Collectif Printemps de la dignité brandit ce slogan : «16 ans est l'âge de la scolarité et non du mariage ! ». Tout ce beau monde se donne rendez-vous en avril pour le début de la session parlementaire du printemps. Avis d'expert Mustafa Aboumalek, Sociologue, auteur de L'ère de la débrouille : étude sociologique sur le célibat en milieu rural (2010) « Je suis stupéfait par cet amendement. 16 ans est un âge très précoce où la fille ou le garçon sont en pleine croissance. En fixant l'âge du mariage, le législateur doit prendre en compte ce facteur et une multitude d'autres indicateurs. À commencer par les changements sur le plan social, économique (revenus) et surtout au niveau culturel. C'est-à-dire les évolutions des mentalités. Ce facteur est même décisif. Lors de mes recherches sociologiques dans le Haut Atlas, je n'ai pas trouvé de cas de mariages précoces. Le même constat à Bir Jdid, région de Doukala. Pour Casablanca, n'en parlons même pas, c'est un autre monde. Au final, je ne comprends pas cette proposition de fixer l'âge du mariage à 16 ans. Je n'arrive pas à concevoir le mariage d'une adolescente ». Paru dans le numéro 204 de L'Observateur du Maroc