Par : Vincent Hervouët Au bout de trois semaines, la guerre au Mali reste aussi insaisissable qu'un mirage dans le désert. Pas de front, pas d'ennemi, pratiquement aucun mort visible. Peu de règlements de comptes, pas de civils fuyant en masse la violence, ni de débâcle humanitaire. Une guerre aussi propre qu'une dune de sable ! Par moment, la libération au nord mali ressemble même au ParisDakar : au lieu de la caravane bruyante des 4X4, la colonne des blindés Sagaie qui fonce pied au plancher vers Gao et Tombouctou. Comme en écho, à Addis-Abeba, la réunion des donateurs qui déboursent 500 millions de dollars pouvait faire penser à une sorte de téléthon pour le Mali. Un spectacle télévisé... L'autodafé des manuscrits de Tombouctou a même apporté la touche tragique qui faisait défaut. Mais c'était juste pour le plaisir de se faire peur car dès le lendemain on apprenait que 90% de ces documents vénérables étaient intacts. Enfin, toutes les chaines ont eu leur séquence « émotion », avec ces femmes qui se dévoilent et fêtent gaiement leur libération après 8 mois de honte, de peur, de harcèlement. Cette image heureuse masque une autre réalité : Tombouctou, ville morte. Les touristes ne sont pas prêts de revenir et les habitants Touaregs et arabes ont fui, redoutant les représailles. Les trois villes du nord Mali sont désormais libérées des djihadistes qui y faisaient régner leur terreur et l'armée française est pressée de se replier, mission accomplie. A Kidal, elle a opérée sans l'armée malienne. Depuis le début de l'intervention, la fiction diplomatique voulait que les paras de la Légion étrangère et des Forces spéciales se déploient en soutien de l'armée malienne. A Kidal, les rebelles Touaregs du MNLA et les dissidents d'Ansar Dine qui ont fondé le Mouvement Islamique de l'Azawad ont déclaré la ville ouverte mais ils refusaient de laisser approcher les militaires maliens, en prétendant craindre des exactions sur les civils. Comme il est indispensable d'enrôler ces rebelles dans la lutte contre les terroristes d'AQMI, l'heure des palabres a sonné. Elles s'annoncent difficiles. La réconciliation nationale va soulever d'infinis problèmes, très concrets, liés à la possession des terres et aux rivalités entre le Nord et le sud. En fixant l'échéance des élections dans six mois, le président Dioncouda Traoré fait un pari optimiste. A-t-il le choix ? Sur le plan militaire, la MISMA doit prendre rapidement le relais. A cette force de bric et de broc de ratisser le terrain, de sécuriser les routes et les villes et d'empêcher les djihadistes réfugiés dans leurs cachettes en montagne de repartir à l'assaut du Mali. Nombreux sont les experts qui se demandent si elle est en capable. Elle peine déjà à se déployer. Alors que les réunions se succèdent depuis un an et que l'annonce de l'envoi de 3 300 hommes a été faite en novembre, les premiers contingents arrivent seulement. Le Nigeria aux prises avec Boko Haram n'a trouvé que 200 soldats à expédier sur les 1200 promis... Et pourtant, c'est l'une des armées expérimentées sur lesquelles on comptait pour tenir le terrain. C'est d'ailleurs un général Nigérian qui doit commander la Misma ! Ainsi l'exemple vient d'en haut. Le soutien des voisins immédiats du Mali est plus symbolique que militaire, comme les 144 Guinéens qui vont trouver à Bamako à s'équiper, les Béninois qui envoient des policiers ou les Togolais qui se font désirer. Les 120 Ghanéens du Génie apporteront leur expérience de démineurs mais aussi l'anglais dans leur musette ce qui ne va pas faciliter la communication. Enfin ces armées des pays de la Cedeao ont peut-être participé à des opérations de maintien de la paix au Libéria, en Sierra Leone et en Guinée Bissau et connaissent les questions techniques que soulève l'interopérabilité mais elles n'ont aucune expérience de la guerre dans le désert, ni du contre-terrorisme. Seuls les Tchadiens qui ont inventé la forme moderne du rezzou apportent une vraie plus-value en terme militaire. Ces guerriers ont l'habitude des chaleurs caniculaires et de la guerre de mouvement. Ils sont aguerris et redoutés. Ils soignent leur réputation : elle est épouvantable. C'est l'armée qui fait peur. Aux terroristes d'Aqmi qui ne font pas la guerre mais du kidnapping et des attentats et aux Touaregs d'Ansar Dine qui se sont repliés ensemble dans le massif des Ifoghas, près de la frontière algérienne. Cela tombe bien, les Tchadiens sont là pour les dissuader d'en sortir.