Créée en 1958 par Hassan II, l'équipe des Forces armées royales bénéficie d'un statut à part au sein du championnat. Financièrement à l'abri, elle dispose aussi de nombreux passe-droits. Si tout se déroule comme prévu, le Maroc devrait avoir dès 2011 un championnat de football professionnel. Mais seuls les clubs ayant respecté un cahier des charges exigeant, imposé par la Fédération royale marocaine de football (FRMF), pourront prendre part à la compétition. “Les clubs vont être obligés de se gérer comme des sociétés. Ils devront jouer le jeu de la transparence en tenant des assemblées générales régulières et en acceptant de se faire auditer”, explique un membre de la FRMF. Mais, à un an du passage au professionnalisme, une question revient sans cesse : l'équipe des Forces armées royales (FAR) [actuellement classée 11e du championnat (sur seize) au terme de la 22e journée] acceptera-t-elle de se plier aux nouvelles règles du football marocain ? Les FAR bénéficient depuis toujours d'un statut particulier au sein du championnat amateur : un statut d'équipe intouchable et sacrée, parce qu'elle a été créée par Hassan II au temps où il était prince héritier. Cela lui a valu les faveurs de l'écrasante majorité des dirigeants qui se sont succédé à la tête du football national. A commencer par Omar Boucetta, premier président de la FRMF, qui, en 1958, avait permis à la toute nouvelle équipe des FAR d'accéder directement au championnat de 2e division alors que le règlement stipulait que la place de la formation militaire était en division inférieure. Après avoir réussi la montée en D1 un an plus tard, l'équipe de Moulay Hassan aura à nouveau droit à la bienveillance de la FRMF. Pour sa première saison parmi l'élite, le onze askari [terme arabe désignant les soldats] s'illustre en terminant le championnat en tête du classement, ex aequo avec le Raja de Casablanca et le KAC de Kénitra. Alors que les règlements en vigueur au Maroc veulent que l'équipe ayant la meilleure différence de buts (dans ce cas précis : le Raja de Casablanca) soit sacrée championne, les FAR réussissent finalement à imposer un tournoi triangulaire. Ironie du sort, le championnat sera finalement remporté par le KAC. La FRMF n'est pas la seule à avoir donné un coup de pouce aux FAR. D'après plusieurs dirigeants de club ayant requis l'anonymat, l'arbitrage a lui aussi facilité la tâche des militaires. Une partialité que le Raja de Casablanca a dénoncée dans les années 1980, en quittant le terrain lors d'un match l'opposant aux FAR. “Contrairement à ce qui se dit, je ne pense pas que les dirigeants des FAR ont soudoyé ou menacé les arbitres”, explique Moncef El-Yazghi, auteur de La Makhzanisation du sport (2006). “Ils n'en avaient pas besoin. Certains arbitres ont aidé cette équipe tout simplement par peur de ce qu'elle représentait, c'est-à-dire le roi.” Des salaires largement au-dessus de la moyenne Hassan II était intraitable quand il s'agissait de son équipe préférée. “Je ne permets à personne de toucher aux joueurs des FAR”, avait-il réagi en 1971, lorsqu'il avait appris qu'un membre de l'équipe militaire avait été exclu d'un regroupement de l'équipe nationale, alors en Espagne. Le roi avait alors ordonné le rappel immédiat du joueur et le renvoi du directeur technique de la sélection nationale. En 1993, Abdelkhalek Louzani, alors sélectionneur de l'équipe du Maroc, subit à son tour la colère du souverain, à la suite de la mise à l'écart de joueurs des FAR pour indiscipline. Ce sont, paraît-il, les seules fois où Hassan II a dû intervenir en faveur de ses poulains. A en croire les responsables de nombreuses associations de supporteurs du royaume, le public des FAR a été tout aussi protégé que ses joueurs. Et c'est encore le cas aujourd'hui. “Nos déplacements à Rabat sont dangereux”, confirme un supporteur du Wydad Athletic Club (WAC). “A chaque fois, les supporteurs des FAR nous agressent violemment, dans l'indifférence totale des autorités chargées de la sécurité.” L'équipe des FAR – la plus titrée du royaume après le WAC (douze titres de champion, onze coupes du Trône et une Ligue des champions africaine) –, en plus d'être intouchable, a toujours été la plus avantagée en termes de moyens mis à sa disposition. Les joueurs militaires ont tout ce dont ils ont besoin : un centre sportif ayant coûté la bagatelle de 200 millions de dirhams [17,7 millions d'euros], des salaires et des primes de signature largement au-dessus de la moyenne, des emplois réservés au sein de la gendarmerie royale… Et, comme ils voyagent à bord d'avions militaires pour se rendre au Maroc et à l'étranger, ils s'évitent des escales interminables et fatigantes ; ils sont également hébergés dans des hôtels haut de gamme. Pour composer l'équipe la plus performante possible, les dirigeants des FAR ne lésinent pas sur les moyens, en se payant les joueurs les plus talentueux (et les plus chers) du pays. Des joueurs qui, jusqu'au milieu des années 1990, n'avaient pas le droit de refuser de porter les couleurs militaires. Les dirigeants des clubs auxquels ils appartenaient n'avaient pas non plus le droit de s'opposer à leur transfert. Plusieurs membres du comité du Raja de Beni Mellal s'étaient ainsi vu signifier en 1994 par un haut gradé venu enrôler un de leurs attaquants : “Je ne suis pas ici pour négocier avec vous, mais pour emmener mon joueur.” Le président du club est un général Le budget annuel des FAR de Rabat est estimé entre 20 millions et 40 millions de dirhams [entre 1,7 million et 3,4 millions d'euros]. Il est impossible de préciser ce montant, car il n'existe aucune copie des rapports moraux et financiers, comme il est d'usage à la FRMF, de l'équipe présidée depuis belle lurette par le général Housni Benslimane. D'où proviennent ces fonds ? Certaines sources au sein du club askari affirment qu'ils sont prélevés sur le budget du ministère de la Défense, d'autres sur les œuvres sociales des FAR. Autour du club flottent depuis toujours beaucoup d'approximations et de mystères. Parce que tout ce qui touche de près ou de loin à l'équipe des FAR relève quasiment, encore aujourd'hui, du secret militaire.