Un nuage numérique commence à planer sur l'image des plus grandes firmes : la communauté. «Ce qui rend les marques influentes n'est pas leur taille mais leur communauté.» Cette phrase de Chuck Byrme, dirigeant de DDB worldwide, est très forte de sens. En effet, on parle beaucoup de blogs et de blogueurs et ce n'est pas un hasard puisqu'ils ont été la partie visible, très visible même, d'une évolution sociétale forte : la reprise du pouvoir par les consommateurs, ou plutôt par les «consom'acteurs». Quel est le point commun entre Coca Cola et Twitter ? Les deux marques sont mondialement connues et facilement identifiables. Quelle est la différence ? L'une est une marque de boissons gazeuses qui dépense annuellement des millions de dollars pour sa communication, l'autre est un site de microblogging qui a atteint la même notoriété sans dépenser le moindre centime. Le secret réside dans deux mots : «community management». Ce mode de marketing coûte généralement moins cher à l'entreprise qu'une campagne de publicité classique. Il permet de renforcer un lien entre les internautes et l'entreprise. «Fans & Followers» On ne peut pas communiquer tous les jours avec un discours trop formaté sinon les gens se lassent. C'est beaucoup plus simple sur les réseaux sociaux. Il suffit de poster un message en rapport avec le produit, d'ouvrir un débat, de répondre à un commentaire. Il y a un côté plus humain dans cette forme de marketing. Les internautes adhèrent à cette forme de communication : un mois après son lancement, la page Facebook de Samsung Maroc a vu le nombre de ses membres se multiplier par trente et celui de ses fils de discussion par dix. Mais il ne suffit pas d'ouvrir une page Facebook ou un compte Twitter pour créer sa communauté. Et c'est bien là le problème : certaines entreprises, jalouses de la popularité de leurs concurrents, se sont lancées têtes baissées dans la course aux «fans» et aux «followers», sans les moyens techniques ou humains nécessaires. Elles ont ouvert une page Twitter et Facebook alimentées automatiquement ou confiées à un stagiaire, sans stratégie communautaire. Une stratégie peu concluante, car la qualité d'une communauté ne se calcule pas en nombre de «fans». Mieux vaut privilégier la qualité des échanges : des internautes actifs et bien ciblés, même s'ils sont peu nombreux, apporteront beaucoup à l'entreprise. Le jeu télévisé Enigma en a particulièrement fait les frais, en raison d'une mauvaise gestion de sa communauté. Ajouts sans accord préalable, flood, spam… la communication sociale d'Enigma a cumulé les bavures au point de s'attirer les foudres de ceux qui étaient censés l'encenser. Il lui aura fallu retravailler toute sa politique communautaire et passer par la case communication de crise et excuses pour redresser la barre. Pour avoir un impact sur les réseaux sociaux, les entreprises doivent préalablement réfléchir à leurs objectifs et au public qu'elles souhaitent viser avant de penser aux outils à leur disposition. Si on veut faire connaître les nouveaux produits de son entreprise, une page sur Facebook est indispensable. Au contraire, un groupe de luxe n'a pas intérêt à ouvrir un compte sur Facebook ou Twitter s'il veut conserver son côté mystérieux et inaccessible. De même, une entreprise qui travaille en «B2B» (business to business) devra travailler sur d'autres outils que les réseaux sociaux traditionnels pour avoir un impact sur ses clients. Sans stratégie, on risque au mieux de passer inaperçu, au pire de faire du tort à l'entreprise. L'exemple le plus connu est la mésaventure de Nestlé qui a voulu appliquer des techniques de com' traditionnelles sur les réseaux sociaux. En mars 2010, Greenpeace lance une campagne de discrédit contre la marque suisse jusque sur sa page Facebook. Elle poste sur le réseau social une vidéo dénonçant ses pratiques environnementales, qui suscite rapidement de nombreux commentaires. Mais les administrateurs de la page Facebook, au lieu de discuter avec les internautes des attaques dont ils font l'objet, censurent les débats. Trop tard : l'histoire est reprise sur tous les blogs et les sites de stratégies marketing. La marque en plus d'être décriée par Greenpeace, fait l'objet de nombreuses critiques sur sa gestion de la communauté. Devenir consom'acteur Il ne s'agit plus ici d'avoir une présence sur un média «nouveau», mais de naviguer dans un océan d'informations, échangées entre le consommateur et l'entreprise. Ce que certains semblent oublier, c'est que cet échange va dans les deux sens. Les consommateurs ont compris les techniques de communication des entreprises et ne sont plus vraiment dupes. Par ailleurs, de plus en plus d'entreprises communiquent à travers des medias toujours plus fragmentés. La réponse de la majorité des agences de communication restantes :« communiquons encore plus que les autres et ils finiront bien par acheter nos produits ! » Les agences en sont encore à expliquer que les consommateurs passent plus de 20% de leur temps sur un «nouveau» media (Internet pour ne pas le citer) et essaie de convaincre leurs clients de communiquer encore plus «online» (aujourd'hui les budgets de communication accordés à Internet sont de l'ordre de 5 à 7%) : le fameux concept d'agence 360°… Malheureusement (ou heureusement) le consommateur va bien plus vite que cela et la communication sur le web (bannière et autres), aussi pertinente soit-elle, n'est plus suffisante… Et c'est là que le community management permet de faire la différence. Le bouche à oreille, qui se limitait à un quartier ou une rue dans sa version orale et «hors ligne», devient diablement efficace lorsqu'on peut toucher plusieurs milliers d'internautes en un seul commentaire positif ou négatif sur une marque. Bien gérées, les foudres du consom'acteur peuvent permettre une médiatisation non négligeable d'un nom de marque, ne serait-ce que par effet de tapage/matraquage médiatique. Une remarque positive dans un forum peut rallier des prospects et une autre négative peut facilement mettre le doigt sur une future amélioration à incorporer dans la version prochaine d'un produit. Et il ne s'agit là que des prémices d'une mouvance de plus en plus globalisée. Gageons que les entreprises marocaines sauront tirer les enseignements nécessaires et proposer un community management mature avant que les communautés soient trop grandes pour pouvoir échapper à un consommateur qui n'a pas sa langue dans sa poche et n'est pas coincé du clavier. Yassine Ahrar Un job «in» Community manager, c'est le «buzzword» du moment qui affole le marché. Tout le monde en parle et en réclame, annonceurs comme agences. Si ces experts ès conversations sur la Toile sont si recherchés, c'est que l'explosion du Web 2.0 et de ses avatars (forums, blogs, réseaux sociaux) modifie en profondeur les relations entre marques et consommateurs. Que les entreprises le veuillent ou non, leurs moindres faits et gestes sont analysés et commentés par des internautes désormais rassemblés en communautés. Les marques ne peuvent rester absentes de ces conversations. Le community manager, c'est la version 2.0 du webmaster. Concrètement, le community manager fait d'abord de la veille en ligne à l'écoute des discussions sur la marque. Il identifie les communautés et mesure leur influence. En mode proactif, le gestionnaire de communauté cherche à prendre le contrôle de la communauté, de son employeur et de la fédérer autour des valeurs de la marque.