Les statistiques des crimes et délits commis au Maroc révèlent un état de fait pour le moins inquiétant. Analyse. Mercredi 19 janvier. Tribunal de première instance à Marrakech. La salle d'audience est bondée. L'assistance n'en revient pas. Les parents de l'accusé et de la victime sont là, et répondent, tour à tour, aux questions du juge. Quelques jours plutôt, un meurtre avait secoué un hameau pas très loin de la Ville ocre. Le présumé meurtrier a achevé sa victime, son copain de classe, à l'aide d'une pierre. Deux coups, un sur la poitrine et l'autre sur l'appareil génital ont suffi pour envoyer dans l'au-delà l'un des deux protagonistes. Appelé à la barre, le présumé coupable étonne par son calme et sa placidité déconcertants. Au point de faire dire à un correspondant d'un quotidien de la place : «Etonnant ! On dirait être face à un criminel professionnel qui a tout préparé, son meurtre et même ses réponses au juge». Pourtant, Yacine, le mis en cause, n'a que SIX (6) ans. L'âge de jouer avec des chérubins, de réclamer des jouets à ses parents et non de les acculer à assister, incrédules, à un procès. Pour autant, des crimes plus horribles et de toutes sortes sont légion. Sont-ce des cas isolés ? Ou, au contraire, un phénomène récurrent qui impose de tirer la sonnette d'alarme ? En tout cas, les statistiques de la criminalité au Maroc témoignent d'un état de fait pour le moins inquiétant. Comme le montre un document sur l'évolution de la criminalité au Maroc au cours des dernières années et dont Le temps a eu copie. Il en ressort que les délits et crimes ont nettement progressé durant l'année 2009. Pour preuve, les dossiers jugés par les différents tribunaux du royaume sont passés de 321.077 en 2008 à 335.528 en 2009, soit une (triste et navrante) progression de + 4,5%. Les divers crimes portent sur l'atteinte aux biens, violence sur autrui et enfin les crimes économiques et financiers. Curieusement, cette progression intervient après une nette régression en 2005 et une stagnation en 2008. Crimes économiques Durant les six premiers mois de l'année 2010, les tribunaux du royaume ont statué sur 169.412 dossiers contre 169.366 durant la même période de 2009. Ces statistiques révèlent un recul de 10,56% concernant les crimes et délits liés à l'atteinte à l'ordre public et un peu moins pour les autres délits et crimes. En revanche, les crimes économiques et financiers ont progressé de 8,75%. En tout, 23.918 affaires ont été jugées par les tribunaux. Mais ce n'est que la partie visible de l'iceberg puisque, selon «Transparency International», les crimes économiques au Maroc sont d'une telle gravité qu'ils ont «provoqué le recul de la production intérieure brute de 5,6 % dans les années 70 et 2,4 % à la fin des années 90 et le début du troisième millénaire». Les grandes sociétés restent les plus touchées. Dans son rapport de 2008, la Cour des comptes avait épinglé de nombreuses entreprises publiques et administrations (Office national des aéroports, la Marocaine des jeux et des sports, la Société nationale de transport et de logistique, le Centre cinématographique marocain, etc.) Pour ce qui est des affaires liées aux personnes physiques, les services de police sont parvenus à élucider 153.182 affaires, soit un taux de réussite de 90,41%. Au total 168.115 personnes, dont 16.745 femmes et 7.359 mineurs, ont été présentés devant la justice. En ce qui concerne les opérations quotidiennes des services de police, les statistiques de la Direction de police indiquent que 473.295 personnes dont 25.020 faisaient l'objet d'un avis de recherche pour divers crimes. En outre, dans le cadre de la préservation des établissements scolaires des dangers qui rodent aux alentours, les services de police ont renforcé le dispositif sécuritaire. Cette grande vigilance a conduit à l'arrestation de 1122 personnes impliquées dans le trafic des stupéfiants, lesquelles ont été déférées devant la justice. De même 760 grammes de chira, 23 kg de kif mélangé au tabac, 15 kg de maâjoune, 1400 comprimés de psychotropes de 97 Kg de cocaïne et 18 grammes d'héroïne ont été saisis. Pour Mustapha Daouf, membre du collectif «Non aux psychotropes», 75 % des crimes au Maroc sont dus à l'usage des drogues. «Ces substances, dit-il, sont consommées par les prostituées et les mendiants, car ils les aident à dépasser leur timidité. Quant à la population estudiantine, elle représente environ 20% dont la majorité des consommateurs sont des filles.» Et pour confirmer cette situation en pleine croissance, une fillette a été retrouvée ivre morte, jeudi 14 janvier, près de son collège à Youssoufia, rapporte le quotidien Assabah. Elle aurait consommé de l'alcool avec des collégiens près de la Grande Mosquée. Elle a été conduite aux urgences de l'hôpital Lalla Hasnaa, qu'elle a quitté à une heure tardive après avoir dessoûlé. Une enquête a été ouverte. Coke, voitures et terrorisme Décidément le commerce des drogues de toutes sortes ne semble pas connaître de crise à la sonsommation. Les arrestations liées à ce trafic se multiplient de jour en jour. Selon les statistiques susmentionnées, 14.278 affaires ont été traitées par les services de police durant la première moitié de l'année 2010 contre 13.709 durant la même période en 2009, soit une progression de 4,15%. Les investigations ont abouti à l'arrestation de 16.362 individus s'adonnant à ce commerce illicite. 95% des cargaisons saisies sont destinées à l'étranger, plus particulièrement l'Europe. S'agissant de la drogue dure, la cocaïne notamment, plusieurs arrestations ont été opérées à l'aéroport international Mohammed V de Casablanca. De nombreux citoyens de l'Afrique subsaharienne ont vu échouer leurs tentatives d'introduire de la cocaïne en Europe via le premier aéroport du royaume. Par ailleurs, le vol des voitures occupe une part importante dans le chapitre de la criminalité au Maroc. Ainsi, les forces de police ont démantelé 15 bandes spécialisées dans ce secteur et arrêté 57 criminels. Dans ce même registre, elles ont mis la main sur 29 voitures déclarées volées en Espagne, huit en Italie et cinq en France. Cent vingt-neuf suspects liés à ces vols dont dix-neuf étrangers ont été appréhendés. Dans un autre registre, les efforts de la lutte contre le terrorisme ont porté leurs fruits, évitant le pire dans notre pays. Ainsi, durant la première moitié de l'année écoulée, trois cellules terroristes ont été démantelées et soixante-quinze suspects arrêtés. En somme ces chiffres témoignent que l'insécurité au Maroc prend de l'ampleur. Et ce, en dépit des efforts considérables et fort louables des forces de police. D'autant qu'il a été prouvé que la stratégie du tout sécuritaire n'est pas suffisante. Dans l'affaire du jeune meurtrier de Marrakech, la justice n'a pas encore dit son mot. Yacine écopera sans doute de plusieurs années de réclusion compte tenu de toutes les preuves retenues contre lui et de ses aveux devant le tribunal. Vu son âge, il sera mis dans une maison de redressement pour mineurs. A sa libération, bien des choses auront changé. Et lui aussi. Changera-t-il en bien ? La question se pose avec d'autant plus d'acuité que, selon des études, un détenu sur trois retourne en prison après sa libération. Plutôt inquiétant. Abdelkader El-Aine Criminophilie Intrigue, suspense, traque, enquête, les récits de crimes, souvent sordides, ne manquent jamais de fasciner le grand public. Surfant sur cette criminophilie, 2M démarre une émission inédite «Les plus grands criminels». Recette : plonger dans la psyché de ces sérials killers qui ont défrayé la chronique. Les producteurs de l'émission privilégient le style docu-fiction. Entre interviews et reproduction des faits, le magazine plonge son spectateur dans le monde du tueur compulsif. Quelque peu inspiré de «Faites entrer l'accusé», l'émission se veut un vecteur de sensibilisation quant à la prégnance du crime dans notre société.