Pour Washington, Miloud Chaabi fait partie des success-stories du monde arabe et musulman. Mardi 25 mai 2010. Villa Mirador, Anfa Supérieur, Casablanca. C'est ici que se trouve la résidence de Mme Elisabeth Millard, Consul Général des Etats-Unis dans la capitale économique. Il est 17 heures. Un soleil de plomb s'abat sur l'immense jardin de la villa. Entre bougainvillées et géraniums, il fait bon d'être en ces lieux et un air de la Maison-Blanche flotte ici. Sur la terrasse, le staff de communication de l'Ambassade vient d'aménager un espace presse. Objectif : partager avec les journalistes le témoignage de la délégation marocaine ayant participé au Sommet présidentiel sur l'entreprenariat présidé par Barak Obama himself (Washington, 26 &27 avril 2010). Le président des Etats-Unis avait annoncé la tenue de ce sommet lors de son discours du Caire de juin 2009 adressé au monde musulman. But de l'opération : mettre en avant et soutenir l'entreprenariat social aussi bien que celui des affaires dans les pays à majorité musulmane. De 20 à 80 ans… Pour cela, l'Amérique avait décidé d'inviter des leaders «faisant preuve d'un esprit d'innovation, d'un esprit d'entreprise et d'un engagement au service de la communauté» selon les termes mêmes du communiqué officiel du Sommet. Du Maroc, huit «leaders» avaient été sélectionnés : Miloud Chaabi, président-fondateur de Ynna Holding, Omar Chaabi, vice-président du même holding, Moulay Ahmed Essakalli, président fondateur de Zid Zid Kids, Mohamed Benamour, directeur général et fondateur de Benson Shoes ; Mohamed Horani, PDG et fondateur de Hightech Payment Systems, Hakima El Haité, directrice générale d'Eau Globe, Wafa Zerrouki, présidente et fondatrice de l'association pour l'artisanat traditionnel des femmes et Wafaa Chafi Fathi, secrétaire générale de la Fondation BMCE Bank. Ces Marocains faisaient partie des «250 sucess-story» arabes et musulmanes invitées à partager leurs expériences avec leurs homologues du monde arabe et musulman. «Ils ont invité des leaders âgés de 20 à 80 ans. De ceux n'ayant même pas les moyens de payer un billet d'avion à ceux qui pouvaient acheter une compagnie aérienne sur un coin de table» commente un participant. Résultat, un melting-pot aussi étonnant que détonnant. «Nous nous sommes aperçus, nous Marocains à Washington, qu'on pouvait faire du business nous-mêmes, sans parler des Algériens, Tunisiens et des Marocains de là-bas très actifs …» ajoute notre source. Pour réussir cette alchimie et soutenir ces «leaders du changement», l'Amérique de Barack Obama a décidé de mobiliser tout son savoir-faire en networking. «Les Américains mettent à notre disposition un back-office puissant pour aider à la réalisation des projets : des experts en tous genres, des fonds…» témoigne un membre de la délégation. A Villa Mirador, les huits leaders marocains n'étaient pas tous là mais le parterre des patrons présents en valait le détour, avec notamment, la présence de Mohamed Horani, président de HSP et patron des patrons. Un homme volait toutefois la vedette à ce parterre et suscitait le crépitement continu des flashs des photographes : Hadj Miloud Chaabi. Madame la Consule l'entoure de tous les égards. Hadj Miloud Chaabi a été invité par Barack Obama en hommage à son action. «Il est à la fois une sucess-story et un symbole pour les jeunes entrepreneurs. C'est à ce titre qu'il a été invité» explique son fils Omar. Les crises passent... Tout naturellement, c'est à Miloud Chaabi que revient l'honneur d'ouvrir le point de presse. Son voyage aux Etats-Unis semble l'avoir revigoré. «J'ai redécouvert l'Amérique» confie-t-il au Temps. Avant d'ajouter : «Nous avons été très bien reçu et le Président Obama a prononcé un grand discours». En marge du sommet, Hadj Miloud Chaabi s'est entretenu avec des membres du Congrès et du Sénat. «Les hommes politiques américains sont très intéressés de savoir si les relations entre les Etats-Unis et le monde arabe ont changé depuis le discours du Caire ou pas. J'ai expliqué qu'il y avait depuis un rapprochement en cours des points de vue» nous explique-t-il. Sur le concept même du Sommet, Miloud Chaabi est revenu enchanté : «Le Maroc doit s'ouvrir sur les réseaux islamiques et arabes. Il existe beaucoup d'opportunités à saisir». Le verbe est policé, le geste mesuré et le propos assez modéré. Miloud Chaabi a dépassé l'âge des batailles et des joutes oratoires. Il reste optimiste pour le Maroc. Le Premier ministre et son bilan à mi-mandat ? «Je suis député mais je ne fais plus de politique. Je connais Abbas El Fassi depuis 40 ans. Que voulez-vous ? Il fait de son mieux. Le Maroc avance…». Sur la crise économique qui perdure, le doyen des hommes d'affaires marocains se veut rassurant : «Vous savez, cela fait 60 ans que je suis dans le business. J'ai tellement vécu de dépressions économiques, de crises… Les choses ne sont pas figées. Il ne faut pas désespérer… Les crises passent…» commente -t-il. Même pour l'immobilier, où il opère également, Haj Miloud reste optimiste : «Dans l'immobilier, les affaires vont reprendre. C'est un secteur qui a devant lui 25 ans de croissance, tellement il y a de déficit, l'offre de financement est intéressante avec des taux compétitifs pour les ménages… La crise actuelle est psychologique». En tout cas, l'homme continue d'investir. Dernier projet lancé : une usine de fer à béton à Berrechid avec un montant d'investissement de 1,1 MRDH, excusez du peu. «Je continue d'investir dans les différents secteurs où nous opérons. Mais je n'aime pas le crier sur tous les toits» dit-il. La légende du berger.... Le look de l'homme a changé. Hadj Miloud porte désormais une barbe et une forme de sérénité semble l'habiter. La voix est la même mais le regard, à la base malicieux et argenté, s'est adouci. A 80 ans, Hajd Miloud Chaabi vit une forme de sagesse, forgée dans l'adversité de la vie et les épreuves menées. Avec lui, c'est le film d'une belle sucess-story qui défile en instantané. Les racines historiques de la saga Chaabi remontent aux années 40. Issu d'une famille pauvre d'un douar de la région d'Essaouira, berger à la base, Miloud décide très jeune de prendre son destin en main dans un Maroc sous occupation et subissant à son tour les affres de la Deuxième Guerre mondiale. Le jeune Miloud travaille dans les souks, sillonne les villages, travaille à Marrakech, Salé, puis trouve finalement un job de maçon à Kénitra. Il apprend le métier et décide de lancer sa première entreprise de construction à 18 ans, emploie déjà deux personnes et investit dès les années 50 le secteur de la construction immobilière. Cette première entreprise est le fer de lance d'un empire qui pèse des milliards de dirhams aujourd'hui, placé depuis 1986 sous la bannière de Ynna Holding. Le «khemmas» de la région d'Essaouira devient un homme d'affaires qui donne des coups de griffe. La politique l'attire. Il est élu président de la Chambre de Commerce de Kénitra mais subit d'ores et déjà l'ostracisme de l'administration de l'époque. Le Général Oufkir lui mène la vie dure et le personnage est l'anti-modèle de l'homme d'affaires nanti : ni fassi, ni lettré, il est pour l'époque «l'aaroubi» qui vient bousculer le business des riches déjà installés. Mais Miloud Chaabi n'en a cure. Il poursuit son expansion industrielle, met la main sur des bijoux comme Dimatit, plus tard la SNEP et entre au Parlement. Son bras de fer avec Abderrahmane Saaidi, alors ministre des Privatisations, fait la Une des journaux. L'homme est infréquentable pour l'establishment économico-financier de l'époque. Il se fait même régulièrement attaqué par une partie de la presse. A l'étroit dans son propre pays, rejeté, Miloud Chaabi a une idée de génie : investir en Afrique. Il est le premier à se positionner sur le continent noir dès la fin des années 60. Il arrive à trouver des relais hauts placés en Lybie, en Egypte et en Tunisie. Il investit dans le BTP, l'industrie, le tourisme… et se fait même coté à la Bourse du Caire ! Dans la foulée, il conquiert le Sénégal, le Gabon, le Mali, la Mauritanie… Chaabi réussit à l'étranger mais reste ignoré dans son propre pays. L'arrivée du nouveau règne sonne l'heure de la réhabilitation. Il est décoré et un de ses projets à Essaouira bénéficie même d'une inauguration royale. Il confiera plus tard à la presse : «Sa Majesté m'a rendu ma dignité». Aujourd'hui, c'est même un fervent patriote qui clame son attachement au drapeau. «Je suis un optimiste et un patriote. Même si je peux avoir toutes les cartes de résidence du monde en tant qu'investisseur étranger, là où je me sens le mieux, c'est dans mon pays. J'ai un seul passeport… et il est vert !». Sacré Hadj Miloud ! Abdelkhalek Zyne