Le 5 mai, le quotidien arabophone n'est pas sorti dans les kiosques. En cause, une grave crise financière. «Le journal a cessé de paraître pour des raisons essentiellement financières». C'est ce qu'indique le communiqué publié par la direction du quotidien Al Jarida Al Oula. Le journal arabophone fondé et dirigé par Ali Anouzla a succombé (momentanément ?) à la lourdeur de ses dettes. Officiellement, il s'agit d'une «suspension temporaire». Mais au sein de la rédaction, on ne se fait pas de doute : sauf miracle, le quotidien risque de ne plus paraître. Créé en mars 2008 par Ali Anouzla, le quotidien a rapidement fait parler de lui en adoptant une ligne éditoriale sans concessions, libre et frondeuse. Succès d'estime mais procès en série et frilosité des annonceurs ont fini par user les finances du journal. Mais, à en croire certains collaborateurs et proches de la publication, les problèmes ne venaient pas que de l'extérieur. «Une guerre froide s'est installée entre certains actionnaires et le directeur de la publication» nous confie un proche. Ces actionnaires n'appréciaient pas le ton des chroniques d'Ali Anouzla et lui en ont fait part lors des réunions du conseil d'administration. Al Jarida comptait une vingtaine d'actionnaires répartis à parts égales. Guerre froide Plusieurs sources concordantes affirment que les divergences se sont aggravées au fil des mois. Un actionnaire aurait même signifié à Ali Anouzla qu'il n'avait qu'à fonder «son propre journal s'il souhaitait continuer à écrire ainsi». «Pour Anouzla, c'était la goutte qui a fait déborder le vase, il a donc cessé d'écrire» rajoute un proche. Cela fait trois mois que la chronique d'Anouzla a disparu de la dernière page du quotidien. C'est pendant ces trois mois que les problèmes financiers se sont également aggravés. Pour sauver le journal, Anouzla a clairement exprimé son intention de vendre sa part dans le capital, ainsi que le titre de la publication. Samir Abdelmoula, déjà très proche du journal, a manifesté son intérêt de racheter 50% du capital. «Juste après avoir fait sa proposition, le maire de Tanger a disparu de la circulation et a éteint son téléphone. On a implicitement compris qu'il avait retiré son offre» explique l'un des actionnaires. Retour à la case départ. Le 5 mai 2010, Al Jarida al Oula se voit refuser l'impression, pour arriérés non réglés et défaut de paiement. L'endettement du journal se chiffrerait à plusieurs millions de DH. Même si le communiqué signale que c'est une suspension de la parution, les journalistes restent sceptiques. «Si on ne trouve pas de solution dans les jours à venir, la publication est morte. Un quotidien ne peut pas se permettre de s'arrêter» explique un journaliste. En moins de quatre ans d'existence, Al Jarida Al Oula s'est imposé comme un quotidien sérieux et incontournable. Dans un paysage médiatique de plus en plus étroit, la mort d'Al Jarida Al Oula est un mauvais signe. En témoigne Jean-François Julliard, Secrétaire général de RSF «Je crains que les titres les plus indépendants disparaissent les uns après les autres». De leur côté, les journalistes marocains tiennent à rendre hommage au journal. Sur le profil facebook d'un confrère, on pouvait lire «Le Maroc est devenu le cimetière de la presse indépendante (…) Al Jarida Al Oula est une expérience qui mérite tout notre respect». Omar Radi