Les opérateurs locaux mettent les bouchées doubles pour être associés à l'ambitieux programme d'énergie solaire national. Des sites totalisant une superficie de 10.000 hectares qui produiront 2.000 mégawatts d'électricité d'origine solaire seront créés à l'horizon 2020, pour un investissement estimé à 70 milliards de DH. Une opportunité dont ne demande qu'à profiter la trentaine d'entreprises marocaines opérant dans le secteur de l'énergie solaire. «Ce projet est une véritable aubaine pour les opérateurs du secteur. Nous revendiquons notre intégration dans ce programme en matière d'ingénierie et de fabrication», lance d'emblée Ahmed Squalli, président de l'Association marocaine de l'industrie solaire et éolienne (AMISOLE) et gérant de NRJ International. Voilà, c'est dit. D'autant plus que l'heure presse. La pré-qualification des candidats pour le développement de la première centrale, sise à Ouarzazate et d'une capacité de production de 500 mégawatt, débutera en juin 2010. Et les soumissionnaires internationaux ne vont pas tarder à se bousculer au portillon. Mais, une chose est sûre : les opérateurs nationaux actifs dans l'énergie solaire se partagent un marché particulièrement restreint, où dominent deux principales technologies : la thermique et la photovoltaïque. Cette dernière est essentiellement exploitée par le programme d'électrification du monde rural, le PERG, initié par l'Office national de l'électricité (ONE) et auquel sont associés plusieurs opérateurs nationaux. «Le marché du photovoltaïque (dont la première application est l'éclairage, NDLR) serait porteur s'il n'était pas totalement couvert par l'ONE, argumente Philippe Bouillet, administrateur d'Electro Contact, fabricant de boîtiers électroniques pour systèmes photovoltaïques. Mais pour les entreprises marocaines, des opportunités existent au-delà des frontières». Exemple : au Sénégal, un marché portant sur l'électrification via la technologie photovoltaïque a été récemment remporté par l'ONE, une occasion pour les fabricants et installateurs nationaux de participer à ce business. «Nous avons d'ailleurs soumissionné à un appel d'offres dans ce sens. Il faut dire que l'essentiel de notre production est destiné à l'exportation vers les pays du sud du Continent», poursuit Philippe Bouillet. En dehors des initiatives dirigées par l'ONE, le photovoltaïque n'est pas prisé au Maroc. La faible quantité d'énergie dégagée est juste suffisante à l'éclairage domestique ou à l'alimentation d'appareils audiovisuels de basse tension, comme une télé ou un poste radio. Pour des utilisations plus gourmandes en énergie, il y a la solution thermique, dont le potentiel de croissance est réel. «Le marché du thermique peut connaître un certain développement, car les installations s'amortissent dans des délais compris entre 5 à 10 ans», explique le patron d'Electro Contact. Toutefois, les choses ne sont pas aussi simples. «Les entreprises et les particuliers sont certes intéressés par le thermique. Toutefois, le coût des installations en rebute plus d'un. Le consommateur marocain est beaucoup plus interpellé par le prix que par la qualité du matériel. En plus, les éventuels usagers n'ont toujours pas à l'esprit le bénéfice qu'ils peuvent en tirer», explique Abdelkarim Hamzaoui, DG de l'entreprise fassie Atlas Solaire. En effet, l'économie réalisée sur la facture annuelle d'électricité peut atteindre les 70%. Mais pour cela, il faut d'abord mettre la main à la poche et consentir à un investissement conséquent. À titre d'illustration, sachez que pour un foyer comptant cinq personnes, le coût d'installation d'un système thermique d'une capacité de 300 litres s'élève est compris entre 13 000 et 20 000 DH ! Un montant que peu sont prêts à débourser. Un soutien étatique inexistant Et si les prix sont élevés, c'est, à en croire les importateurs, parce que le gouvernement ne fait rien pour encourager l'adoption du solaire thermique. «Avec les droits de douane appliqués sur ce type d'équipements, il nous est impossible de baisser nos prix et de toucher un marché plus large», déplore AbdelKarim Hamzaoui. Latifa Aït Benadi, responsable commerciale chez Phototherm, assure également que le prix reste déterminant dans l'acte d'achat. «Tant que les prix restent aussi élevés, il sera difficile de développer le marché du solaire thermique. Et même si une réelle concurrence sur les tarifs existe, elle n'est pas si forte que cela, précise-t-elle. Résultat, dans la configuration actuelle du marché, c'est surtout la marque qui est déterminante dans le choix des clients». En définitive, seule une volonté étatique, dans le cadre du nouveau plan énergétique et de la stratégie de développement des énergies renouvelables, pourrait donner un coup de pouce au secteur. Confirmation de Abdelkarim Hamzaoui : «Le prix du solaire ne peut pas baisser si l'Etat ne met pas en place des mesures spécifiques pour encourager cette filière». Même son de cloche auprès de Phillipe Bouillet : «Pour que le marché du thermique puisse décoller, il faut qu'il bénéficie d'aides publiques ou d'avantages fiscaux pour la généralisation du chauffage solaire». C'est exactement l'approche adoptée par le voisin tunisien. Dans ce pays, non seulement l'importation de chauffe-eau solaires est soumise à un taux de douane zéro, mais la vente et l'installation sont exonérées de TVA. Pas étonnant dès lors que les chauffe-eau solaires équipent la majorité des foyers… Et si, pour une fois, on copiait la recette tunisienne ? Imane Azmi « Nous voulons intégrer le programme solaire national » Quelle est la configuration du marché de l'énergie solaire au Maroc ? En matière d'énergie solaire, il existe deux filières de base : le photovoltaïque et le thermique. Concernant la première, le procédé consiste en l'installation de plaques qui génèrent de l'électricité. Quant à l'énergie solaire thermique, elle permet le chauffage de l'eau sans le passage à l'électricité. Pour cette filière, il existe un réel potentiel, puisque le Maroc a de grands besoins : nous importons 97% de notre énergie, et ce, même si nous disposons d'une grande source d'énergie qui est le soleil ! Quant à la rentabilité, elle est réelle pour l'utilisateur. Aujourd'hui, on peut affirmer qu'il est absurde de chauffer l'eau à l'électricité ou au gaz ! Encore plus, le retour sur investissement se réalise sur 3 à 5 ans compte tenu du coût d'acquisition des équipements. Qu'est-ce qui entrave donc le développement du solaire thermique ? Ce sont essentiellement des considérations d'ordre financier : l'absence d'aides et de financements publics. Il faut une volonté politique pour l'élaboration d'une réglementation. Par exemple, que le ministère de l'habitat assujettisse les autorisations de construire ou d'habiter à l'installation de système de chauffage solaire. Reconnaissons que l'initiative du «Guide de l'habitat durable» du département de tutelle est louable. Certes, le document n'a pas de force exécutoire, mais ses recommandations peuvent devenir probablement obligatoires dans quelques années. Qu'en est-il du photovoltaïque ? Si l'on compare avec les expériences étrangères, ce marché est amené à s'améliorer, mais à condition de mettre en place «le tarif garanti de reprise». C'est ainsi qu'en Europe, les usagers équipés en système photovoltaïque vendent la quantité d'électricité produite à l'Etat à un prix supérieur à celui en vigueur dans une tarification publique. Le photovoltaïque n'est pas rentable pour l'industrie. Pour qu'un tel investissement le devienne, il faut compter entre 20 et 30 ans. Par contre, c'est la solution idéale pour le monde rural. A travers le PERG, l'ONE et des opérateurs privés ont répondu aux besoins des populations non connectées au réseau d'électricité. Ce programme répond aux nécessités de l'éclairage courant et en alimentation électrique des appareils audiovisuels (radio et télévision). Mais dès qu'il s'agit de brancher un réfrigérateur ou un système de climatisation, la capacité ne comble pas la demande. Et pour ce faire, d'importants investissements sont à prévoir. Dans un marché aussi réduit, quel sort sera-t-il réservé aux opérateurs ? Sur la trentaine d'opérateurs, aucun n'a atteint des volumes critiques pour se lancer dans l'industrialisation. Par contre, le projet intégré de production électrique solaire annoncé dernièrement, d'une capacité de 2000 mégawatts, représente des opportunités pour les entreprises nationales. Nous avons l'espoir que les opérateurs locaux intègrent tant les volets ingénierie que fabrication. Propos recueillis par I.A.