Pourquoi avez vous choisi d'intervenir sur « la convergence des plans sectoriels et son impact sur le déficit commercial » ? Le choix du sujet a été dicté par la nature des missions du Conseil national du commerce extérieur (CNCE) qui s'articulent autour des questions liées aux échanges extérieurs. Sur la question spécifique de l'impact des plans sectoriels sur le déficit commercial, nous effectuons des travaux depuis plusieurs mois. Les premiers résultats issus du modèle économétrique établi à cet effet ont été présentés lors des 3ème assises de l'exportation. Ces travaux suivent d'ailleurs leur cours, et je pense que nous devrions avoir des éléments plus complets dans peu de temps. Quels sont les éléments de réponse que vous avez apportés ? Avant de pouvoir répondre à la question des problèmes de la mise en cohérence des plans sectoriels à travers le prisme du commerce extérieur -et compte tenu de l'importance de la question de la gouvernance- il est opportun de commencer par articuler la réflexion autour de la question fondamentale du rôle de l'Etat, puisque celui-ci est le terrain d'affirmation de la gouvernance. Si la question de la convergence est posée, c'est que le mode d'intervention publique semble devoir être repensé, l'objectif ultime étant d'élargir sa capacité à atteindre une croissance économique en mesure d'assurer le bien-être de toute la population. Sur le plan international, la stratégie qui a dominé jusqu'à présent, a consisté à réduire le rôle de l'Etat et son désengagement. Cela s'est fait sous des formes diverses selon les grammaires nationales. D'ailleurs certaines économies émergentes combinent capitalisme privé et capitalisme d'Etat et réalisent des résultats appréciables. Concernant la trajectoire du Maroc, jusqu'au début des années 80, notre pays a connu une phase d'interventionnisme actif de l'Etat avec, notamment, l'élaboration de plans quinquennaux fussent-ils indicatifs. Mais depuis, le temps de l'Etat producteur et centralisateur est révolu, ses fonctions ont changé de nature. Comment peut-on définir aujourd'hui les missions de l'Etat sur le plan économique ? A grands traits, l'Etat réduit les incertitudes à travers la stabilité macro-économique (maîtrise de l'inflation, politique budgétaire rigoureuse...). Il organise les conditions de la compétitivité globale à travers le développement des infrastructures et la maîtrise des coûts des facteurs : énergie, transport, télécommunication, foncier, taux d'intérêt... et ce, grâce à des politiques de libéralisation des secteurs réels et financiers. Le corollaire de cette libéralisation est la régulation de l'économie devenue une fonction centrale mais l'Etat ne dispose plus de suffisamment d'instruments pour orienter l'affectation de ses ressources surtout depuis la crise qui a révélé certaines vulnérabilités. Quel serait alors le rôle de l'Etat dans le contexte actuel ? Aujourd'hui, nous sommes dans un contexte inédit où se combinent des mutations profondes sur le plan économique, politique et social qu'il faut analyser à la lumière de la 3ème révolution industrielle. Ce nouveau contexte implique des transitions énergétiques et écologiques mais surtout une transformation du système économique et sociale avec notamment, l'entrée dans une économie entrepreneuriale. Les modèles de croissance de demain sont en train d'éclore. Quel est le nôtre ? Une fois le diagnostic posé, est-il adapté à la métamorphose du monde ? Quels sont les secteurs d'avenir ? Quel nouvel équilibre entre l'action publique et la régulation par le marché ? Par rapport à la gouvernance politique comment voyez-vous la question de la convergence des stratégies et des programmes sectoriels ? En termes d'objectifs de politique économique qui doivent transcender l'ensemble des plans sectoriels, ce qui doit être privilégié et même être obsessionnel, c'est la croissance économique mais dans le cadre d'une nouvelle approche où la performance sociale et sociétale s'imposera comme l'une des conditions indispensables de la performance économique. Il y a donc nécessité d'élaborer une stratégie à moyen terme de développement économique et social, durable et équitable. Celle-ci n'est pas un retour à la planification car la centralisation exprime l'incapacité à animer la société. Il est question de la coordination des actions des différents acteurs et ceux au niveau national, régional et sectoriel, où l'Etat serait un Etat « Harmonisateur », d'ailleurs la crise, qualifiée maintenant de « grande récession » s'est traduite par une demande d'Etat, mais un Etat autrement. Le néo-libéralisme ce n'est pas le désengagement de l'Etat mais le réengagement de l'Etat sur d'autres bases afin de créer les conditions nécessaires au fonctionnement du marché : Economie libre mais avec un Etat fort ! Quels sont les principaux éléments de cette stratégie ? Il s'agit d'une stratégie à moyen terme, car nous avons la chance d'avoir la monarchie où la vision à long terme est assurée avec des options stratégiques dans la durée. Quelques soient les préconisations relatives à la démarche classique qui consiste à prioriser les objectifs, équilibrer les moteurs de la croissance, identifier les contraintes, définir les instruments de pilotage... elles restent insuffisantes pour expliquer pourquoi des pays réussissent mieux que d'autres. Au-delà des facteurs explicatifs privilégiés selon chaque théorie économique : épargne et investissement, innovation, progrès technique, capital humain, efficience des marchés ... il est de plus en plus admis que le niveau de confiance dans une économie constitue un facteur déterminant de la croissance économique. Des recherches de jeunes économistes se sont penchées sur la manière d'améliorer le niveau de confiance et la façon dont les institutions influencent les valeurs de coopération. Ces recherches se poursuivent pour analyser comment se développe un nouveau type de coopération de type Wikipédia. Si la société de l'information est gouvernée par des valeurs du lien, du partage, de l'interaction, de l'intelligence collective... l'objectif est d'identifier les politiques en mesure de reproduire ces valeurs dans la vie réelle afin de converger vers la notion d'intérêt général. Quelles sont les difficultés de la mise en cohérence des programmes sectoriels eu égard à leur impact sur le déficit extérieur? La première ambition de l'exercice du CNCE a été d'identifier des objectifs clairs de l'évolution du PIB de chaque secteur et surtout son partage entre la production destinée au marché locale et celle orientée vers les exportations. Or, les différents plans sectoriels ne sont pas structurés selon la même logique, celle de la comptabilité nationale en l'occurrence. Ceci aurait pu permettre d'utiliser la matrice des échanges intersectoriels. A titre d'exemple les industries agro-alimentaires se retrouvent dans le plan vert et Halieutis. La deuxième difficulté de la mise en cohérence des plans sectoriels est l'incohérence des horizons temporels : 2013, 2015, 2020, 2030. Quant au troisième handicap, et non le moins important, il concerne l'absence de prise en compte d'une façon horizontale des contraintes qui pèsent sur leur réalisation : énergie chère, stress hydrique, faiblesse de l'épargne longue conjuguée à l'absence d'épargne au niveau international, guerre des talents... Comment avez-vous alors contourné ces difficultés ? La première phase a concerné la mise en cohérence des programmes à l'horizon 2015, ce qui nous a permis de déduire des objectifs de croissance annuelle des exportations à partir de la lecture des informations disponibles ; par exemple pour le Plan vert 17% pour les produits frais et 16% pour les produits transformés. Mais la réalisation des objectifs d'exportation suppose une production qui nécessite des intrants dont une bonne partie est importée. La deuxième étape a donc consisté à éclater les consommations intermédiaires en vue de distinguer entre celles importées ou produites localement. Selon les estimations du CNCE, l'investissement et la consommation intermédiaire satisfaits par les importations, ont été respectivement de 58% et 40% en 2011, autrement dit la réalisation de ces plans exigerait des inputs dont une bonne partie serait importée. La troisième phase a concerné l'élaboration de scénarii de l'impact des plans sectoriels sur le déficit sectoriel. Quels sont les principaux résultats de l'impact des plans sectoriels sur le déficit commercial ? Les résultats des simulations concernent plusieurs variables, en particulier le ratio du déficit au PIB serait réduit de 16,1% en 2011 à 13,9% en 2015. Mais l'essentiel est de noter qu'il est impératif de réaliser une forte croissance économique. En effet, le maintien du trend actuel de la demande interne et des exportations supposent une croissance annuelle du PIB de 6,9%, mais si on ajoute la réalisation des objectifs d'exportation des programmes sectoriels, cette croissance devrait atteindre 7,7% par an. En définitive, une gestion de l'intersectoriel dans le sens de l'augmentation de la valeur ajoutée locale tant exportée que vendue localement est indispensable et constitue une des conditions de la réalisation d'une forte croissance.