L'amphi était bondé et de nombreuses personnes se sont vues refuser l'entrée faute de places. Le débat s'est déroulé uniquement en français contrairement à ce qui a été annoncé dans la presse. Les cabines des interprètes ont été démontées pour laisser de la place au public. Beaucoup de jeunes tunisiens mais aussi des Marocains et des Algériens ainsi que de nombreux journalistes et représentants des médias de touts pays étaient présents au débat organisé à la Faculté de droit sur le campus Al Manar à Tunis, mercredi dernier. Débat animé par Alain Gresh, journaliste, directeur-adjoint du Monde diplomatique et spécialiste du monde arabe, Tariq Ramadan, islamologue, professeur à l'université d'Oxford et Nejmeddine Hamrouni, ancien conseiller du Premier ministre tunisien démissionnaire Hamadi Jebali, et membre du comité central (Majliss Echoura) d'Ennahda. Le collectif Paris-Tunis, organisateur du débat, n'a pas lésiné sur les moyens pour communiquer autour de l'événement. Ce collectif est composé d'associations de Tunisiens vivant en France, telles que Takaful, Tunisiens des 2 rives, Centre Tawhid, Centre Malcolm X, et Jeunesse tunisienne de France. Printemps arabe, l'impasse… Alain Gresh ouvre le débat en expliquant que le premier acquis du printemps arabe est la libération de la parole. « En effet, dit-il, avant les révolutions, tout citoyen dans le monde arabe était investi d'un policier et harcelé par la police . Et c'est ce même harcèlement, doublé d'un capitalisme libéral complètement corrompu, qui allaient être à l'origine des soulèvements». Mais la question fondamentale qui se pose aujourd'hui est de savoir si la liberté d'expression et un gouvernement choisi à travers les urnes par la majorité sont suffisants. L'arrivée des islamistes conduit une impasse politique dans le monde arabe. La confrontation entre islamistes et laïcs monopolise le débat politique et paralyse toute action. Cette polarisation, affirme Tariq Ramadan, est contre-productive et détourne des vraies questions sur la bonne gouvernance. Comment dès lors articuler discours politique et référentiel religieux ? Comment faire émerger une voix qui aille plus loin que le simple slogan » Al Islam houa Al hal « (la solution c'est l'islam, en arabe) ? , relevé par Alain Gresh et repris par Tariq Ramadan. Quel Etat et quelle démocratie pour répondre à une demande de changement essentiellement sociale ou issue de mouvements sociaux ? Quelles politiques pour relever le défi économique et social ? Quelle gouvernance et quel référentiel éthique pour à la fois le pouvoir et l'opposition ? Pour une éthique de la bonne gouvernance Pour répondre à ces questions, par essence complexes, Tariq Ramadan esquisse quelques principes de bonne gouvernance. En premier lieu, accepter la complexité et admettre que certains pouvoirs, économique ou de certaines institutions, échappent encore, au Sud comme au Nord, aux règles de la démocratie. Ensuite, faudrait-il dépasser la qualification du pouvoir, islamique ou laïc, et juger plutôt de sa bonne ou mauvaise gouvernance. Vient ensuite la question de l'alternance et de l'acceptation des règles du jeu démocratique et non pas seulement l'instrumentalisation des urnes comme le prônait un leader du FIS algérien. Ramadan met en garde contre le populisme religieux souvent catastrophique pour la société civile. A cet égard, il met en garde contre « le populisme religieux souvent catastrophique pour la société civile ». Mettre en place un Etat civil, c'est-à-dire un Etat mandaté par la société civile, dans lequel, « le religieux ne s'impose pas à l'autorité de l'Etat à partir du moment où celui-ci est mandaté », poursuit-il, avant de résumer les six principes fondamentaux, selon lui, pour une bonne gouvernance : L'Etat de droit ; la citoyenneté égalitaire ; le suffrage universel, Le principe d'adaptibility (c'est-à-dire être mandaté, pouvoir aller jusqu'au bout de son mandat et devoir rendre des comptes) ; la séparation des autorités ; la séparation des pouvoirs. Enfin, conclut Tariq Ramadan, il faut ajouter deux éléments, qui sont, dans le Sud comme dans le Nord, condition sine qua none pour une bonne gouvernance : la lutte contre la corruption et le progrès de la transparence des relations entre institutions. Le chronotope de Hamrouni… Debout, Nejmeddine Hamrouni, commence par ironiser sur le fait qu'il vient de terminer une alternance et qu'il est la preuve vivante que les islamistes aussi peuvent quitter le pouvoir. Il poursuit de manière très didactique, empruntant la métaphore du chronotope au cinéma, et faisant interagir le public : Agir en politique c'est agir dans un chronotope. Le politique, l'économique, le social, le culturel sont des arènes. Et en démocratie, contrairement à la dictature, les arènes sont autonomes et divergentes. Les acteurs sont chacun dans son chronotope et doivent agir ensemble, se guidant chacun de son propre référentiel sans dénigrer le référentiel des autres acteurs. Agir ensemble en politique, dit-il, c'est être diplomate et agir en adhésion et non pas en adhérence avec son référentiel. Vivre et agir ensemble, c'est sortir de la posture du représentant de son référentiel et adopter la posture de diplomate de son référentiel. C'est-à-dire en le déclinant sans jamais le renier mais toujours dans le respect du référentiel de l'autre.