Le secteur privé ne semble pas être du même avis que les institutions financières et les agences de notation. C'est l'un des principaux constats qu'on pourrait tirer de la World Investment Conference North Africa qui a ouvert ses travaux mercredi 20 mars dernier et qui se clôturera aujourd'hui à Marrakech. Lors de l'ouverture de la WIC le mercredi 20 mars, Lucio Vinhas de Souza, économiste en chef, analyste du risque souverain chez l'agence de notation Moody's Investors a dressé un tableau de bord alarmant de la situation actuelle dans la région de l'Afrique du nord. « Nous observons une grande instabilité. Un climat d'incertitude règne dans la région. Le Maroc a payé les frais de sa vulnérabilité par rapport aux chocs externes et en termes énergétiques », a-t-il déclaré. Une manière de justifier l'abaissement de la perspective de la note souveraine du Maroc qui est passée de stable à négative, durant le mois de février, par Moody's. De plus, de Souza déclare qu'aucun pays n'a obtenu à ce jour l'Investment Grade et que la situation n'est pas aussi reluisante. Pire, cette situation ne promet pas de changer si les pays en question n'entament pas des réformes urgentes, à en croire de Souza. La Banque Mondiale partage l'avis de Moody's Une crainte confirmée par une étude du cabinet Oxford Business Group (OBG) présentée le lendemain, jeudi 21 mars, par Robert Tashima, rédacteur en chef d'OBG. « Il existe plusieurs risques dans cette région. L'éducation fait défaut au Maroc ainsi que la formation professionnelle, ce qui impacte la disponibilité en cadres qualifiés pour les multinationales. De plus, le manque de diversité des échanges commerciaux avec l'étranger, cantonnés principalement aux relations avec les Européens, augmente la vulnérabilité du pays face aux chocs externes », s'inquiète Tashima tout en louant certains efforts entrepris par le Maroc pour améliorer son climat des affaires. Par ailleurs, pour Jean-Pierre Chauffour, économiste en chef à la Banque Mondiale, il ne faut pas se voiler la face. Les choses vont mal en Afrique du Nord. Les chocs industriels, l'isolation de la région en termes d'intermédiation financière, une économie orientée principalement vers l'export, les problèmes de sécurité, la bureaucratie, le clientélisme sont autant de maux que Chauffour a énuméré tout en remarquant que même si le Maroc demeure une exception dans la région, il n'est pas à l'abri de ces contraintes. « Le Maroc est très en dessous des aspirations en termes d'éducation tertiaire et de qualification de formation. Le Maroc a certes entamé des réformes, mais la compétitivité de ses entreprises fait encore défaut. A titre de comparaison, en Ukraine, il y a eu cinq fois plus de sociétés créées qu'au Maroc et qu'en Tunisie. Il y a moins de sang frais au Maroc », s'alarme le représentant de la Banque Mondiale. Les opérateurs privés boudentles agences de notation Des déclarations qui n'ont apparemment pas plu à des représentants de certaines sociétés. Alain Viry, président du directoire du groupe CFAO n'est pas allé par 4 chemins. « Si, dans le cadre de mes projets d'investissements, j'avais pris en considération les notations des agences, les rapports et études des établissements financiers, je n'aurais jamais mis le pied en Afrique. J'ai prouvé le contraire en investissant en Afrique et je suis extrêmement satisfait », lance Viry à l'audience. Pour rappel, CFAO est présent dans 34 pays africains et génère des milliards d'euros de chiffre d'affaires annuellement. Une véritable success story qui a pu profiter du potentiel de ce marché. D'ailleurs, Omar Chaabi, vice président exécutif d'Ynna Holding rejoint le responsable de CFAO en recommandant d'investir maintenant dans cette région de l'Afrique du Nord avant qu'il ne soit trop tard. « Vous savez, chaque pays à ses risques et ses particularités. Que vous soyez au Japon, aux Etats-Unis ou au Maroc, il y aura toujours des risques. Il faut bien choisir son secteur d'activité et se lancer avec les bons partenaires. Le Maroc a avancé en termes d'incitations pour l'attrait des investisseurs et les obstacles se minimisent de plus en plus », témoigne Chaabi. L'Afrique, un marché de 1 milliard de consommateurs Ce n'est pas d'ailleurs les craintes de Moody's et de la Banque Mondiale qui feront changer d'avis Maurice Benassayag, vice-président senior chargé des affaires publiques chez Alstom. « Vous savez entre la prudence nécessaire et la frilosité, il y a des marges pour les entreprises. Il faut croire en un marché avant d'investir », lance Benassayag. Des témoignages qui contredisent les notations des agences et les déclarations des responsables de la Banque Mondiale. D'ailleurs, même avec ses tares, le continent africain s'en est bien sorti ces dernières années avec des croissances moyennes de 3,5 à 5%. Un continent qui représente plus d'un milliard de consommateurs et où la classe moyenne a pris un envol considérable ces dernières années. Le marché africain est actuellement inscrit dans les radars de plusieurs groupes internationaux, en particulier chinois qui investissent en masse sur le continent (Voir carte interactive sur lesoir-echos.com). Et sur ces investissements, le tiers est accaparé dans la région de l'Afrique du Nord, un chiffre qui pourrait doubler en 2040, à condition que les pays de l'Afrique du Nord collaborent davantage entre eux et créent une zone de libre échange afin de faciliter les échanges commerciaux et le transit mais ça c'est une autre histoire...