Quand nous avons rencontré Youssef Nejmi, il était ce que l'on appelle dans le jargon de l'architecture «charrette». En clair, sur le point de rendre sa copie dans le cadre d'un concours pour des logements sociaux. Et c'est entre deux réunions que nous avons pu le rencontrer. Ce jeune architecte n'en est pas à son premier coup d'essai dans le social puisqu'ill a conçu un centre pour mères célibataires ainsi qu'une crèche pour des enfants du quartier de Sidi Othmane pour la Ligue de la protection de l'enfance. Mais là, il s'agit d'autre chose. Associé à un groupe d'amis architectes, il s'est lancé un défi. «Nous sommes tout le temps en train de critiquer ce qui se fait dans le domaine du logement social. Il était temps d'être constructif en apportant un petit plus», explique-t-il. «Et pour cela, il faut puiser dans le répertoire des formes urbaines qui ont déjà existé à Casablanca et au Maroc». Grand connaisseur de l'histoire de l'architecture – Youssef a d'ailleurs enseigné à l'Ecole supérieure d'architecture de Casablanca pendant deux ans - il nous explique que sur les traces d'architectes comme Candilis, Josic et Woods qui ont essayé de reprendre le modèle de la médina dans les années 50, il propose de revenir à une hiérarchie, une logique de vie qui existait dans la médina ou la ville dessinée par Prost sous le Protectorat, avec la séparation entre la cour et la rue, l'espace public et l'espace privé. «Quand on regarde le boulevard Mohammed V, on voit de belles façades, de beaux agencements, de beaux matériaux avec les salons et des chambres devant. On a commencé à faire des villes nouvelles à partir de plans où on revenait à la logique de la rue, de l'ilot et de la cour mais sans respecter la différence entre public et privé. Dans ces villes, la cour est traitée comme la rue. Il n'y a plus de hiérarchie et on se sent perdu. Les matériaux de façade ne sont pas dignes d'une façade, le linge est étendu côté rue au lieu d'être relégué côté cour». Il met également l'accent sur l'importance des équipements éducatifs, culturels et commerciaux qui permettent de faire de ces villes autre chose que des cités dortoirs. “La vie sociale du quartier est aussi importante que la taille des appartements”, assène-t-il. Autre condition pour que ces logements soient viables: «du soleil pour tous grâce à des appartements traversants». «La vie sociale du quartier est aussi importante que la taille des appartements». C'est le leitmotiv de Youssef Nejmi :«aller chercher le soleil et construire avec des matériaux locaux». Il est capital pour cet architecte que la construction s'intègre à son environnement. Il applique cette théorie dans tous ses projets. Et c'est certainement pour ces raisons qu'il vient de gagner le concours organisé par la ville de Casablanca pour le design des stations de tramway. “J'ai essayé de retrouver et d'insérer dans ces abri-bus des éléments fédérateurs de l'esprit casablancais : la mer, les style art-déco, les zelliges que l'on retrouve partout dans la ville, aussi bien dans la Mosquée Hassan II que dans la ferronnerie des quartiers populaires. «Youssef qui a une formation d'architecte (diplôme de l'Ecole d'architecture de la ville et des territoires de Marne La Vallée en France en 1999) s'était déjà essayé au design en créant des meubles pour la Bibliothèque nationale, des comptoirs et des habillages muraux pour les magasins d'un glacier. Pour lui, c'est une activité “complémentaire de l'architecture. C'est le même process». Cet architecte touche-à-tout et modeste qui a fait ses classes en France avec Jean Nouvel en participant à la Biennale d'architecture de Venise en 1998 sous le thème “Plus d'éthique, moins d'esthétique” et au Maroc avec Rachid Andaloussi et Abdelouahed Mountassir sur le projet de la Bibliothèque nationale de Rabat, fait son chemin sans faire de bruit. Il a travaillé sur l'extension et l'aménagement de la baie de Tanger avec Salma Chraïbi, a conçu le show-room du Domaine de Mogador à Casablanca, et conçoit des villas. Architecte de la sobriété, il défend un style épuré tout en affirmant «être à l'écoute de ses clients mais aussi du lieu». Ce n'est pas pour rien que ses maîtres en architecture sont Le Corbusier, Mies Van Der Rohe, Louis Khan ou encore Alvar Aalto. Enfin, Youssef Nejmi est membre de l'Association Casamémoire depuis cinq ans, même s'il n'a pas toujours le temps de s'y consacrer autant qu'il le voudrait, occupé par son travail et son rôle de jeune papa. «Il y a un travail titanesque à faire pour préserver ce patrimoine que l'on a déjà lapidé», dit-il. Et d'expliquer que maintenant toutes les villas ont sauté, on est entré dans une deuxième phase : la destruction ou la surélévation des immeubles pour rentabiliser le foncier. «Pourtant, les décideurs locaux ont été sensibilisés à ce problème et d'énormes progrès ont été faits avec une carte guide du centre de Casablanca avec les principaux bâtiments, les architectes et leurs biographies, les journées du Patrimoine qui ont lieu depuis deux ans, la formation de guides,…». Youssef Nejmi, un architecte de la nouvelle génération engagé dans la défense du patrimoine de sa ville, qui a des choses à dire même s'il le fait tout bas.