Dans le flot ininterrompu des nouveaux films déversés sur grand écran, il arrive de rares moments de pur cinéma ou parfois de vraie rencontre humaine. Amir Rouani, qui a créé la surprise, avec Jezebel, son premier court-métrage, incarne les deux à la fois. Il y sublime, le visage nocturne et ténébreux de Casablanca et de quatre personnages, aux prises avec leur faille, leur trahison, au nom de l'amitié et de l'amour puisque tout crime mérite châtiment pour les inconsolés. Hommage rêveur à la ville blanche, Jezebel (Disconnected Production), déborde de couleur pop et d'énergie diffuse, s'apparentant à un film mûr. On aime le rose et le rouge se mêlant au noir, la candeur se fondant au diabolique. Dès la première scène, on tombe immanquablement sous le charme de la métropole tentaculaire, à peine endormie, éclairée par les nombreux phares de voitures pour s'attarder sur les doigts nerveux de Malik (Youness Bouab), médecin, qui compose un numéro de téléphone dans une cabine téléphonique à l'heure des blacksberry... Il est marié à la belle Nadia (Ouidad Elma). Réda, meilleur ami de Malik, et phalène qui papillonne de conquêtes féminines en boîtes de nuit, tente toujours de l'attirer vers les artifices de la vie nocturne. Au fil d'une narration épurée mais tendue, servie par la jeune école de comédiens marocains : Ouidad Elma, juste et lumineuse, Youness Bouab, électron qui gravite avec aisance dans cette chronique actuelle, Zineb Obeid (Maya), Jade Chkif (Réda), nouveaux visages. Melting art Du haut de ses 30 ans, Amir Rouani, qui sait humer l'air du temps, est parvenu à nous embarquer dans un univers urbain, jeune, irrésistiblement casablancais. S'il maîtrise les ressorts de l'histoire qu'il nous propose, c'est pour mieux flouer les notes de sa partition scénaristique. Harmonie bien sentie entre bande son (Mehdi Filali), image (Abderrafia El Abdiouiet), langage de l'image, Jezebel fait alors sa mue vers l'insoupçonnable et renvoie au génie du titre. Fan incontesté de Marlon Brando, dont il a placardé les murs de son appartement d'affiches du mythique comédien, Amir, aux airs de Jamiroquai, en digne touche à tout, a tour à tour travaillé dans la publicité, la photographie et réalise régulièrement des clips. Il a été marqué par celui du rappeur Vanilla Ice. Dès son arrivée à Tanger, il shoote à coups d'instantanés, la cité du Détroit et sa Cinémathèque. Enfant de Casablanca, il est né en 1982 dans le quartier de France ville, et fréquente Derb Sultan et Derb Ghallef, s'est nourri au passage du street art et des communautés juives et arabes de son environnement. Adolescent solitaire, il se passionne pour le dessin : « j'aimais bricoler et inventer des trouvailles, dans le garage d'un ami. C'était mon parc d'attraction, j'adorais la mécanique, mon frère et moi avions fabriqué un petit avion, j'ai découvert à ce moment mon goût pour la créativité ». Il dévore les makings of des films qui l'ont marqués car « je voulais connaître l'envers du décor, j'ai vu certains makings of comme E.T avant de voir le film », s'amuse-t-il. A 16 ans, il travaille pour Casa première, une société qui créée des dessins animés, et devient animateur 2D. Il suit ensuite une formation en audiovisuelle (FX Effets Spéciaux) à Boulogne, où il passe plus de deux ans. « A mon retour, j'ai collaboré avec des cinéastes égyptiens et européens, pour qui j'ai fait des story-board». Amir cultive toujours sa passion pour Casablanca, avec son meilleur ami Mehdi Damir, personnage féru de musique, de cinéma et de littérature, emblématique des nuits casaouies, il est l'initiateur de la récente Morocco Loco. « J'ai fait appel à Mehdi comme script doctor pour mon scénario, on roule souvent la nuit à Casa en nous attardant sur les changements et l'architecture des années 50 à 70. Je suis vraiment amoureux de ma ville ». Quant à Jezebel, tourné majoritairement la nuit à coups de 18 scènes, il confie : « cette histoire peut arriver à n'importe qui. Tous les films qui m'ont inspirés sont issus de faits réels, et c'est la vision du cinéaste qui m'intéressent avant tout ». Amir Rouani, a également autofinancé en partie son film, n'hésitant pas à vendre sa voiture, « J'aime emporter l'ensemble d'une équipe à travers mon univers et je suis vraiment très honoré de présenter Jezebel au Festival National du Film de Tanger car il s'agit de plus, de ma première participation ». Bonne route et films au long cours, à Amir Rouani....