Cette semaine, Miloudi est tombé amoureux. Profitant d'un instant de répit à l'occasion d'un rendez-vous manqué pour cause de non présence de son interlocuteur, il a décidé de faire un voyage… en tram. Départ du terminus de la place Mohamed V. Le silence et le confort de la machine qui glisse sur les rails lui a permis de se concentrer sur la beauté rafraichie des façades Art Déco, des espaces piétons investis par des humains qui semblaient flâner et profiter de ce soleil si caractéristique de nos hivers. Levant les yeux, scrutant les détails, il se laissait bercer par le petit tintement de cloche tenant lieu de klaxon et par le mouvement souple, sans a-coup de ce tram tant désiré. Afin de ne pas rater cette occasion, l'esprit de Miloudi s'est mis à rêvasser. Il voyait déjà l'avenue Mohamed V avec des espaces de vie, des commerces pas trop agressifs et des cafés pas trop nombreux et surtout des îlots verts autant que possible. Il se voyait même ouvrir une boutique sur cette ancienne artère principale de Dar el Beida. Qu'y vendrait-il ? Des fleurs. De cette manière il n'aurait que des clients venus fêter quelque chose. Adieu la morosité et la tristesse. Il se voyait vieillir dans cet espace à engranger l'histoire de ce quartier au jour le jour, s'enrichissant des anecdotes et des récits des anciens qui cherchent un dépositaire pour se soustraire à l'usure du temps. Enfoncé dans son rêve, il finit par ne plus voir ce qui l'entourait, à mesure que le tram s'éloignait de la partie de la ville qui a une âme pour s'engouffrer dans les nouveaux quartiers où il donnait l'impression de changer de physionomie en devenant moins poétique et plus agressif, sans que rien ne laisse voir le moindre soupçon de changement. Descendant de son tram comme on descend d'un manège, refermant cette parenthèse de douceur qui l'a réconcilié avec la ville, Miloudi est reparti guilleret et requinqué, en se promettant de s'offrir cette petite cure de jouvence aussi souvent qu'il en aurait l'occasion.