La nation, avec ce que ce terme contient de suranné, est encore en vogue. Mais elle doit sa survivance à l'épanouissement de ses localités et ses régions. Euphémisme ? Grandiloquence de discours ? C'est ce que le Sommet des Africités s'efforce de nous prouver. Le ministre de l'Intérieur Mohand Laenser a été reçu en audience par le président sénégalais Macky Sall. Dakar est depuis mardi le miroir des Cités et gouvernements locaux unis d'Afrique (CGLUA). Elle reprend également son rôle de cité carrefour, où cultures, civilisations et même de significatifs mouvements humains n'ont cessé de se croiser depuis des siècles. Elle abrite la 6ème édition d'un Sommet qui, chemin faisant et non sans entêtement, se veut le confluent d'une Afrique déchirée. Les « Africités » sont en train de s'affirmer, voire même au détriment des sommets étatiques qu'incarne une organisation comme l'Unité africaine qui, par défaut, en reste encore aux logomachies des années soixante... L'Afrique est réunie deux jours durant et le fait qu'elle soit, au moins pendant trois jours, fédérée sous l'emblème d'une même quête, témoigne d'une relative prise de conscience aiguë des problématiques traversées et partagées par tous les pays du continent. Et le royaume du Maroc, fidèle à une tradition ancrée de plus en plus chaque année, reste un partenaire majeur et incontournable de cette manifestation. On ne s'étonnera pas donc si, dans son discours d'ouverture du Sommet, le président sénégalais, Macky Sall a mis en exergue « le soutien du roi Mohammed VI pour assurer le succès de cette manifestation continentale qui porte sur une question de grand intérêt pour le développement de l'Afrique via la pratique de la démocratie locale et la politique de décentralisation ». Un tel hommage, du haut des Assises, n'est pas seulement l'hommage au Maroc, mais le témoignage rendu aux expériences de décentralisation, de déconcentration, de régionalisation et de gouvernance locale mises en œuvre depuis des lustres. Elles sont directement prises à témoin de nos jours. Les défis des collectivités locales Le Sommet de Dakar connaît la participation de nombreux représentants des pays africains. La gouvernance, le développement durable, la démocratie déployée sous ses diverses et contradictoires facettes sont au centre des débats engagés. Certes, le thème global retenu est séduisant : «Construire l'Afrique à partir de ses territoires : quels défis pour les collectivités locales ? », il se décline comme un large éventail à multiples palettes. Il a aussi le mérite de cadrer la réflexion et le débat sur le point nodal qu'est la territorialité et son poids dans l'évolution de nos sociétés. Dans les années qui avaient immédiatement suivi les indépendances, en 1960, le débat portait sur « comment construire l'Etat post-colonial ? » Les élites africaines étaient confrontées jusqu'à il n'y a pas longtemps encore au défi de la démocratie et des institutions qu'il fallait inventer « ex nihilo » et créer de toutes pièces même. Or, le modèle de démocratie auquel, dans sa large et incontrôlable diversité, l'Afrique était instamment conviée n'était autre que celui importé , imposé parfois de l'Occident libéral. Ou encore, alternative ravageuse, le socialisme inspiré de l'Union soviétique ou de la Chine populaire. Rien , et pendant longtemps, n'inspirait une autre réflexion, qui tient compte du système tribal et ethnique. Mais tout en revanche pour assurer la continuité organique surgie des ruines coloniales et des partages territoriaux arbitraires opérés il y a un siècle par les militaires et les administrations étrangères d'occupation. La notion de territorialités, de collectivités locales ont commencé à voir le jour en même temps que les problématiques surgies au sujet du développement et de la croissance, en lisière dira-t-on, parce que le développement urbain et humain est plus qu'une hypothèse de travail. Le thème retenu au 6ème Sommet de Dakar est de toute évidence un thème d'actualité, d'autant plus enraciné dans l'évolution moderne des pays d'Afrique qu'il ne risque point d'être « récupéré » ou instrumentalisé. Il est au cœur des préoccupations des Etats et des sociétés. « L'Afrique doit bouger, elle doit faire partie du mouvement général des grandes créations du monde ». Le propos est de Jean-Pierre Elong M'Bassi, secrétaire général et ardent défenseur du CGLUA. Il traduit aussi l'opinion des peuples et des élites, sans compter également tous ceux qui ont à cœur de voir le continent sortir de ses limbes et de l'immobilisme suicidaire dans lequel il est plus ou moins plongé. Les quelque 5 000 participants à ce grand Sommet – transformé chaque année en grand-messe de la fraternité et de l'espoir – se sont efforcés apparemment à éviter la rituelle phraséologie pour s'attaquer aux problèmes concrets des populations et des Etats , à savoir les instruments et les mécanismes du développement et de la gouvernance à l'échelle locale. D'anciens chefs d'Etat, des ministres, des maires et les représentants des autorités locales, des responsables des associations nationales des pouvoirs locaux, des représentants d'organisations internationales et d'agences de coopération et de financement , des représentants d'ONG, bref tout ce qui incarne un large spectre des sociétés, ont pris part à cette manifestation à laquelle le Maroc, il faut le souligner, apporte une contribution précieuse. Le Maroc en force Le ministre de l'Intérieur, Mohand Laenser, y préside la délégation marocaine, composée de plus de 300 personnes, dont des représentants des Collectivités territoriales urbaines et rurales, des institutions publiques et privées mobilisées dans le domaine du développement local, des acteurs de la société civile, mais aussi chercheurs, sociologues et experts en développement et des responsables du ministère de l'Intérieur. Mohand Laenser a rappelé que « la forte participation du Maroc à cette manifestation découle de la volonté du royaume à partager son expérience et son expertise en matière de décentralisation avec les pays du continent et aussi le désir de s'enrichir de l'expérience des autres dans ces assises qui réunissent les acteurs locaux de l'ensemble du continent ». Il n'est peut-être pas inutile de rappeler que leur participation au Sommet des Africités survient à peine une semaine après le Séminaire international que le même ministère de l'Intérieur et les Collectivités locales ont organisé avec succès au Palais des congrès de Skhirat sur la décentralisation et le capital humain. Hasard du calendrier ? Simple coïncidence ou continuité parfaite, opportune en tous cas ? C'est peu dire que le Maroc passe, aujourd'hui, pour le détenteur d'une longue expérience et d'une tradition d'expertise en matière de décentralisation, de mise en œuvre de la politique territoriale et, au-delà bien sûr, de la régionalisation avancée. Tous ces paramètres constituent l'un des socles majeurs pour une bonne gouvernance et le développement participatif et intégré. Lors d'une rencontre avec la presse, Mohand Laenser a justement souligné que « le Maroc a cumulé une longue expérience dans le domaine de la décentralisation puisque sa première charte communale remonte à 1959, et depuis le Royaume n'a cessé de promouvoir ce modèle de gestion qui connaîtra son apogée avec la Régionalisation avancée dont la vision est portée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI et dont les principes fondateurs ont été consacrés par la nouvelle Constitution ». Si la cinquième édition du Sommet Africités s'était tenue du 16 au 20 décembre 2009 à Marrakech sur le thème «La réponse des collectivités locales et régionales africaines à la crise globale : promouvoir le développement local durable et l'emploi». Si encore l'attention était concentrée sur le défi de l'emploi, l'heure semble venue d'articuler le débat sur l'amont d'une vision, à savoir les institutions et les instruments du progrès, sur le socle essentiel qui est la gouvernance et la démocratie. Le besoin est exprimé d'un bout à l'autre que la démocratie, ce sont d'abord les institutions fiables et solides. D'où l'intitulé même du Sommet qui ne laisse pas la part belle aux Etats, colosses aux pieds d'argile, Léviathans modernes dressés parfois contre les peuples. Le chemin le plus court pour le progrès , la croissance, la cohésion sociale est à coup sûr celui des territorialités et des régions et des partenariats transfrontaliers au sein d'Etats forts et ouverts. Le Sommet des Africités en fait donc l'objectif. * Tweet * *