Le premier sit-in des magistrats, samedi dernier à Rabat, a suscité une nouvelle tempête au sein du ministère de la Justice et des libertés. Alors que ce dernier dénonce un excès de zèle, les magistrats menacent de poursuivre leur mouvement. Aux yeux de Mustapha Ramid, le sit-in observé par les magistrats a porté sur des revendications déjà prises en compte par son département. Le bras de fer qui oppose le ministre de la Justice et des libertés, Mustapha Ramid, au Club des magistrats continue de s'amplifier. Cette fois-ci, c'est le sit-in des magistrats, samedi dernier devant la Cour de cassation de Rabat, qui attise la colère du ministre pour qui cette manifestation ne trouve aucune légitimité. Appelant à l'amélioration des conditions financières des magistrats, à la lutte contre la corruption et au respect de l'indépendance, ce sit-in, aux yeux de Mustapha Ramid, a porté, en fait, sur des revendications d'ores et déjà « prises en compte » par son département et par le gouvernement. Pourquoi Ramid est-il en colère ? « La Constitution a tranché en appelant à l'indépendance de la justice du pouvoir législatif et exécutif et en interdisant toute intervention dans le traitement des dossiers (…) Dès qu'un magistrat estime que son indépendance est menacée, il doit en avertir le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire », explique le ministre dans un communiqué. Il souligne également que le gouvernement est conscient de la nécessité d'augmenter les salaires des magistrats, surtout ceux appartenant à la 2ème et 3ème catégories, dans le cadre global de la réforme de la justice. « Le ministre de l'Economie et des finances a annoncé au conseil des ministres, le 4 octobre, que le projet de loi de Finances prochain prévoit d'intégrer le budget nécessaire à la réforme de la justice », affirme Ramid, rappelant qu'il avait lui-même pris l'engagement au Parlement d'améliorer les salaires des juges dans un délai maximum de deux ans. Sur le volet de la lutte contre la corruption, Ramid durcit le ton en voulant rafraîchir la mémoire des magistrats. « La lutte contre toutes les formes de corruption relève des priorités du gouvernement et c'est la raison pour laquelle plusieurs poursuites sont engagées à ce sujet dans les différents secteurs. Certains magistrats ont été présentés devant le Conseil supérieur de justice pour le même motif (…) C'est pourquoi, les magistrats sont appelés à militer contre la corruption dans le cadre de l'exercice de leur fonction (…) et participer d'une manière positive et directe à la réforme de la justice (…) et non pas en observant des sit-in aux slogans consommés », met en garde le ministre. « Alors que nous attendions l'ouverture d'un dialogue sérieux et responsable, le ministre nous surprend par sa réaction », déclare au « Soir échos » le président du Club des magistrats, Yassine Moukhli, qui n'a pas tardé à répondre à Mustapha Ramid par la voie d'un communiqué interposé, publié hier. « Nos revendications ne datent pas d'aujourd'hui, mais de plusieurs années. Plus de trois années se sont écoulées depuis le discours du roi appelant en 2009 à la réforme de la justice. Les prédécesseurs de Ramid nous ont fait des promesses dont aucune n'a été tenue et voici que l'actuel ministre nous en donne d'autres en demandant un délai de deux années. Cinq années d'attente, c'est beaucoup trop », estime Yassine Moukhli, justifiant la volonté de l'association des magistrats de monter en créneau pour se faire entendre. Ton virulent « Nous avons décidé d'observer ce sit-in depuis juin dernier et nous n'excluons pas la possibilité de continuer ce genre de manifestation. Le bureau exécutif en décidera à l'occasion de sa réunion dans un mois », prévient le président du club. Et de préciser que les magistrats ne cherchent pas à « saboter » la réforme de la justice contrairement aux « allusions du ministère ». « Nous ne contestons pas la réforme, mais la composition de l'instance du dialogue national sur cette réforme. Nous l'avions déjà exprimé, d'ailleurs, en émettant des critiques sur sa méthodologie de travail et sur ses thématiques, ainsi que l'exclusion de certaines composantes dont le club des magistrats », insiste Yassine Moukhli. L'association, qui compte près de 2 600 magistrats, n'hésite pas à adopter un ton virulent en qualifiant certaines déclarations du ministre d'«irresponsables » et d' « atteinte grave à l'image et à la considération dues aux magistrats ». Une confrontation qui resserre le nœud du conflit. « Slogans consommés ! » Les propos contenus dans le communiqué du ministre de la Justice et des libertés suscitent la révolte du club des magistrats. Ce dernier considère, dans son communiqué, que revendiquer l'indépendance du pouvoir judiciaire et l'interprétation démocratique de la Constitution ne peut être assimilé à «un simple slogan consommé ». « C'est une revendication souveraine et populaire nécessitant la mise en place des textes de lois organiques garantissant la concrétisation réelle de cette indépendance », affirme le bureau exécutif de l'association pour qui le département de Mustapha Ramid est responsable de la lenteur qu'accuse le traitement des dossiers au sein des tribunaux. «Le ministère n'a toujours pas résolu le problème des assignations, le manque de ressources humaines et logistiques pour garantir aux justiciables l'obtention de leurs droits dans des délais raisonnables », préviennent les magistrats. * Tweet * *