En Egypte, les médias sociaux et les blogs jouent un rôle essentiel dans l'existence d'un domaine public varié, vigoureux et harmonieux. Les premiers ont eu à l'évidence un rôle important dans le soulèvement. Les blogueurs politiques et les militants en ligne ont contribué à créer une sphère publique en ligne dynamique pendant et après la révolution. Pour de nombreux Egyptiens politisés, tenir un blog, au départ simple hobby, est devenu une activité à plein temps. Pourtant, cette activité en plein essor est peut-être en danger. Les activistes en ligne ont généralement besoin d'un financement pour passer à la dimension professionnelle. Si des efforts volontaristes ne sont pas faits pour trouver des canaux de financement, ce domaine public risque de disparaître lorsque le mouvement du 25 janvier 2011 aura perdu de sa nouveauté. Les médias sociaux ont été la tribune des sans voix, le porte-voix des marginalisés et une communauté alternative pour tous les jeunes qui ne se reconnaissaient pas dans les médias ordinaires. C'est ainsi que les posts sur Twitter, les pages Facebook et les blogs ont créé un domaine public parallèle pour des voix naguère marginalisées. Après que les sphères publiques en ligne et hors ligne eurent fusionné dans le cadre des manifestations du 25 janvier, des activistes et des blogueurs en ligne jusque-là inconnus dans le monde en ligne se sont fait connaître des masses. Du jour au lendemain, des grand'mères et des oncles apprenaient l'existence de Wael Abbas, Sandmonkey et Wael Ghoneim. La blogueuse Samira Ibrahim faisait les gros titres de la presse traditionnelle, tandis que des activistes en ligne comme Ahmed Harara étaient invités par les chaînes satellitaires à commenter l'actualité à la place de leurs analystes habituels. La sphère publique s'ouvrait ainsi à des voix alternatives qui pouvaient exprimer leurs opinions sans règlements administratifs, sans pression du monde publicitaire. Aujourd'hui, un an et plus après la révolution, la question se pose : cet engagement politique en ligne va-t-il durer ? Certes, les blogueurs entretiennent un fort niveau d'activité. Et, même si l'utilisation de Facebook, de Twitter et même de certains sites est pratiquement gratuite, il faut encore trouver des moyens d'existence pour pouvoir consacrer la même somme d'efforts et de temps à une activité en ligne. Le blogueur peut se financer de diverses façons. La plus évidente est la publicité. Il peut poster des pubs sur sa page — plus les visites sont nombreuses, plus les annonceurs s'y intéresseront. Il faut reconnaître, cependant, qu'en monétisant ses blogs, il cède aux mêmes pressions capitalistes que les médias traditionnels. Les gros annonceurs peuvent en effet exercer un contrôle sur l'orientation, le contenu et les sujets couverts par ces nouveaux médias, qui risquent de perdre leurs commanditaires si le contenu ne leur plaît pas. Heureusement, les annonceurs égyptiens s'intéressent au marketing virtuel, auquel ils consacrent en moyenne 10% de leur budget de publicité. Ce pourcentage est considérable, dans la mesure où les annonces en ligne sont beaucoup moins chères que la publicité imprimée, sur affiches ou télévisée. De plus, la concurrence sur les marchés de la publicité incitera peut-être les blogueurs à se professionnaliser afin d'attirer les financements qui garantiront leur longévité. Ils pourront par exemple adopter des critères d'objectivité, de journalisme équilibré et de vérification de l'information avant publication plus stricts. Il est indispensable de vérifier méticuleusement l'exactitude de l'information avant de la poster. Les auteurs doivent également permettre à des sources représentant tous les points de vue de commenter les faits. Bien sûr, par définition, le blog ne dispose des mêmes moyens financiers et des mêmes ressources que les autres médias. Et si les activistes en ligne veulent monétiser leurs blogs pour pouvoir en vivre, ils devront se conformer à certaines règles pour subsister dans la durée. Pour autant, cette démarche vers un journalisme pérenne et professionnel n'empêche pas les blogueurs de s'exprimer librement. Il s'agirait simplement de bien faire la distinction entre information et éditorial. De ces sources financement, publicité ou mécénat, dépend la survie de la blogosphère politique. En retour, la survie de la blogosphère politique est indispensable pour assurer la diversité de la sphère publique égyptienne, naguère si étriquée.