Lorsque, vingt ans en arrière, l'on demandait ses origines à un Musulman d'Amérique, il répondait qu'il venait d'un pays fort lointain, qu'il n'avait d'ailleurs visité qu'une fois dans sa vie. Aujourd'hui, la réponse la plus courante sera le nom d'un Etat américain, tels que l'Idaho, le Wisconsin, la Californie ou New York. La relation que bien des Musulmans d'Amérique entretiennent avec leur identité américaine a considérablement changé, et l'Islam propre aux Etats-Unis fait aujourd'hui partie de la communauté islamique à niveau mondial. Ce processus a donné naissance à une communauté dont l'identité est à la fois forgée par l'histoire des dynasties musulmanes et par les révolutionnaires américains. Dans une large mesure, ce phénomène est attribué aux érudits musulmans des Etats-Unis qui se sont voués à la création d'une identité musulmane distincte, dans le respect des idéaux universels de la religion. Le professeur Umar Faruq Abd Allah appelle ce concept « reflecting the bedrock » (questionnement des fondements). Il encourage les Musulmans à évaluer de manière critique ce que l'Islam signifie réellement dans le contexte de la société américaine, et à envisager la religion au-delà des habitudes et des conventions, en vue d'une pratique réfléchie et délibérée en accord avec leur réalité. En effet, si la religion découle de principes historiques et à l'épreuve du temps, elle n'est pas statique pour autant. Sa pratique ne l'est pas non plus. Elle évolue en fonction des époques, des contextes et des disciples. Les communautés, tout comme les individus, s'adaptent à leurs réalités, réagissent à des événements, ce qui les amène à questionner les fondements de leur système de croyances. Tel est l'exemple des attaques du 11 septembre. Cette tragédie a bouleversé le pays, mais elle a aussi profondément changé l'Islam en Amérique. Ces faits ont non seulement forcé les Musulmans d'Amérique à se questionner, mais aussi à prendre conscience qu'ils devaient trouver leur place dans la société américaine. Depuis les attaques du 11 septembre, l'Islam américain a mûri, sous l'égide d'un nouveau groupe d'érudits dont la formation combine l'étude classique de l'Islam et un cursus universitaire ordinaire. Ils n'ont donc non seulement la crédibilité qui découle du fait qu'ils sont nés aux Etats-Unis et qu'ils y ont grandi (avec la débrouillardise propre aux Etats-Unis), mais aussi la capacité exceptionnelle de citer des passages du Coran dans un arabe irréprochable, et de les contextualiser dans des réalités à la fois historiques et contemporaines. Ces savants s'adressent souvent à des publics composés de milliers de personnes, et examinent des questions qui concernent autant les Musulmans d'Amérique d'aujourd'hui que ceux des premiers temps. Ils sont à l'origine d'organisations et d'instituts qui traitent des problèmes que rencontrent les Musulmans d'Amérique, qu'il s'agisse de trouver l'équilibre entre la pratique religieuse et la vie professionnelle, ou encore entre l'obligation d'incarner les valeurs islamiques traditionnelles et la réponse qui est attendue d'eux lors d'attaques violentes menées au nom de l'Islam. Une des organisations est l'Institut américain d'apprentissage pour musulmans (American Learning Institute for Muslims – ALIM), qui cherche, dans les termes de sa mission et de sa déclaration à « donner du pouvoir aux musulmans par la culture» et « faciliter le dialogue entre les traditions textuelles et historiques de l'Islam, et les réalités sociopolitique, culturelle et intellectuelle qui définissent leur vie de musulmans d'Amérique. » Il existe d'autres organisations similaires qui offrent chacune un point de vue idéologique différent, tout en répondant aux besoins d'une institution spécifique au vécu des Musulmans d'Amérique. Les érudits musulmans des Etats-Unis ont toutefois été largement influencés par des années passées à étudier à l'étranger, que ce soit en Afrique du nord, de l'ouest ou encore au Proche-Orient, où ils ont appris l'arabe et les sciences islamiques traditionnelles sous la conduite de professeurs au Sénégal, en Mauritanie, au Maroc, en Arabie Saoudite et en Egypte. Ils traduisent des textes islamiques classiques et des analyses traditionnelles de juristes et professeurs, afin de les rendre accessibles às un large public. Ils sont également à la tête de groupes de voyage visant à encourager le dialogue et l'échange entre les musulmans de par le monde. Leur capacité à comprendre la vie aux Etats-Unis fait d'eux une ressource unique pour les musulmans d'Amérique, et leur maîtrise de l'histoire islamique et de la pensée juridique fait d'eux une ressource importante pour les Musulmans du monde entier. Au niveau international, on s'aperçoit que Sherman Jackson, Zaid Shakir, Suhaib Webb et d'autres leaders musulmans d'Amérique ont une renommée de prestige dans des pays aussi lointains que la Chine et l'Inde et aussi proches que le Canada et le Mexique. Leur pertinence face à des publics variés offre une versatilité qui place l'islam américain dans la communauté musulmane au sens large. Que les érudits soient établis dans une région rurale des Etats-Unis ou dans une métropole mondiale, ils façonnent à niveau mondial la manière que les musulmans à travers le monde ont d'envisager l'islam de nos jours. Ils permettent de donner du sens à la pratique religieuse, valable pour une nouvelle génération de Musulmans qui évoluent non seulement dans des pays majoritairement musulmans, mais aussi dans ceux où l'islam est une minorité. Qu'il s'agisse de leurs analyses complexes des sciences islamiques ou de leur participation à la vie politique, ils permettent de faire le lien entre les valeurs islamiques traditionnelles et l'Islam moderne.