L'idée selon laquelle les conceptions sur l'égalité des sexes seraient extrêmement différentes en Occident et au Proche-Orient s'est beaucoup répandue ces dernières années. Pourtant, les militants féministes et progressistes de ces deux régions partagent de nombreuses valeurs à ce sujet. Un examen approfondi de divers exemples de militantisme féministe montre que ces deux régions ont plus en commun qu'on ne croit. Tant dans les sociétés occidentales qu'au Proche-Orient, certains aspects d'un libéralisme féministe se sont imposés, en particulier l'accès accru des femmes à l'éducation et au travail. Une majorité de citoyens des pays à majorité musulmane — plus de 60 %, selon le rapport sur les valeurs mondiales — World Values Survey (WVS) – n'approuve pas l'idée qu'une éducation universitaire serait plus importante pour l'homme que pour la femme. Il y a encore des obstacles à l'éducation des filles, notamment dans les zones rurales, où les familles manquent parfois de moyens pour envoyer tous leurs enfants à l'école et où les écoles sont parfois trop loin de la maison. Reste que malgré ces problèmes, l'éducation féminine dans les pays arabes a connu des progrès remarquables, avec un taux d'alphabétisations multiplié par deux et une atténuation spectaculaire de la fracture générique depuis 1970. On constate en parallèle une acceptation croissante du travail des femmes. Selon l'étude précitée, 77 % de jeunes Egyptiens estiment qu'une femme a le droit d'occuper tout poste pour lequel elle est qualifiée. Selon les chiffres des Nations Unies, le Koweït enregistre un des taux de participation des femmes à la vie active les plus élevés au Proche-Orient (45 %). Tant au Moyen-Orient qu'en Occident, même les femmes se réclamant d'un conservatisme religieux épousent ces aspects du féminisme libéral. Même si elles prônent l'importance du rôle de la femme en tant qu'épouse et mère, les militantes des groupes islamiques ont fréquemment un niveau universitaire, tout comme les militantes de la droite chrétienne aux Etats-Unis, qui travaillent souvent hors du foyer. La grande variété des positions féministes du Moyen-Orient peut sembler surprenante en Occident. Certaines féministes sont laïques, estimant que la religion doit rester en-dehors du débat sur les droits de la femme. Dans le camp laïc, des féministes libérales, socialistes et radicales travaillent sur des thèmes tels que le droit à la liberté de procréation, la lutte contre les violences faites aux femmes, la lutte contre la discrimination en politique et dans l'emploi, et la justice économique. Il se trouve aussi des féministes islamiques pour contester directement les interprétation patriarcales de la répartition des rôles entre les sexes. Tout en valorisant le rôle de la femme épouse et mère, elles ne la considèrent pas comme inférieure à l'homme et ne veulent pas la cantonner à la sphère privée. En recourant à des interprétations égalitaires de l'enseignement islamique, elles parviennent à imposer des progrès en matière de mariage et de divorce, de code vestimentaire, d'emploi, de participation à la vie politique et d'éducation. En ce sens, elles ressemblent aux féministes religieuses des Etats-Unis, qui s'inspirent des enseignements du christianisme, du judaïsme et de l'islam pour défendre la cause des femmes. Les militants des deux régions auraient tout avantage à exploiter ces ressemblances pour poursuivre ensemble leurs objectifs communs. Il y a par exemple le mouvement bénévole Harassmap du Caire, regroupant des féministes, hommes et femmes, égyptiens et occidentaux : leurs volontaires luttent contre le harcèlement au moyen d'un réseau de signalement par les médias sociaux et le téléphone portable qui permet aux femmes de signaler publiquement et dans l'anonymat les abus dont elles sont victimes. Des entreprises de ce genre témoignent d'une vision de l'avenir — un avenir auquel peuvent travailler tous ceux qui, au Moyen-Orient comme en Occident, poursuivent un même objectif : l'égalité des sexes.