La filmographie inégale et finalement assez décevante de Mike Nichols en arriverait presque à faire oublier qu'il a été l'auteur à la fin des années 60 de l'un des films majeurs de cette époque, annonciateur du nouvel Hollywood, qui ouvrira l'une des ères les plus florissantes et les plus créatives du cinéma américain. Un film à la liberté folle, à la légèreté assumée, aujourd'hui encore capable de procurer de la fraicheur, d'interroger et de fournir surtout beaucoup de plaisir. Il s'agit bien sûr du « Lauréat », satire d'une société américaine des sixties ultra conservatrice, fière d'un bien-être artificiel et qui voit émerger une génération nouvelle, les baby-boomers nés après la guerre, qui rejette ce mode de vie excessivement matérialiste. Cette génération qui luttera contre la guerre du Vietnam même si dans le film, il y est très peu question, à peine une vague allusion... « Le lauréat » est plutôt l'histoire d'un jeune homme étouffant dans un milieu bien rangé, qui affiche un bonheur n'ayant d'égal que sa vacuité. Deux générations se partageant un pays où les richesses abondent et s'affrontant à peu près sur tous les sujets. Benjamin a presque vingt et un ans. Il vient de terminer brillamment ses études et il retourne chez ses parents en Californie pour passer quelques jours de vacances. Très fiers de la réussite universitaire de leur fils, ceux-ci ont organisé une grande réception en son honneur, à laquelle ils convient tous leurs amis. Benjamin supporte péniblement tout cela et préfère s'échapper dans sa chambre. Il se fait aborder par une amie de ses parents, Mrs Robinson, qui lui demande bientôt de la raccompagner chez elle. Benjamin prend conscience qu'elle essaie de le séduire. Il lui échappe avant d'entamer une liaison avec elle plus tard. Mais Mrs Robinson a une fille, que son père veut absolument que Benjamin invite. Il refuse avant de céder puis de tomber amoureux de celle-ci. Mrs Robinson est furieuse. Elle fera tout pour empêcher cette liaison nouvelle entre les deux jeunes gens. Dustin Hoffman, alors inconnu du grand public, devint une star grâce à ce film. Mike Nichols, tout juste sorti du succès de « Qui a peur de Virginia Woolf ? » avec Elizabeth Taylor qui fut couronnée aux oscars pour ce film, dut l'imposer aux producteurs après l'avoir découvert au théâtre. L'acteur avait presque trente ans au moment du tournage tandis qu'Anne Bancroft, l'interprète de Mrs Robinson, en avait à peine 5 de plus. Il fallait tout le talent de ces immenses comédiens pour nous persuader de l'écart d'âge de vingt ans de leurs personnages respectifs. Le sentiment d'enfermement de Benjamin est transmis à la perfection grâce notamment à une mise en scène d'une grande précision, qui l'enferme constamment dans des cadres paraissant trop petits pour lui. La caméra est constamment en mouvement, créant un sentiment de rapidité qui n'est pas sans rappeler les films de la nouvelle vague, influence que Mike Nichols revendiquera sans détour. Enfin, la musique spécialement composée par Simon & Garfunkel pour la bande originale recèle de grands tubes (« Mrs Robinson », « The sound of silence »), indissociables aujourd'hui de la silhouette de Dustin Hoffman traversant ce film assez unique dans son genre, frivole et profond à la fois.