En me promenant dans la rue ou en allant de maison en maison dans ma Tunis natale, je me suis rappelée à quel point les Tunisiens adorent parler. Avant la révolution, ils parlaient de foot. Depuis le mois de janvier 2011, ils parlent de politique, d'économie et de chômage. La liberté d'expression est partout dans la rue. Renversement de situation incroyable quand on sait qu'il n'y pas si longtemps, certains n'osaient pas se parler à eux-mêmes. Cependant, à observer les médias, on pourrait penser que la liberté de presse est en péril. Le patron de la chaîne de télévision Nessma a reçu une amende pour la diffusion du film Persepolis, controversé pour sa représentation de dieu et les journalistes du quotidienEttounsia ont été arrêtés pour la publication de la photo d'une femme, torse nu, qui avait beaucoup circulé sur Internet. Par ailleurs, le pays est en transition démocratique et des tensions existent entre les différents courants politiques comme au sein même de la population. Avant la révolution, les journalistes manquaient de liberté pour critiquer le gouvernement et les autorités et ils avaient peu de possibilité de formation professionnelle. Avec la chute du président Ben Ali en janvier 2011, il y a eu un renversement complet de la tendance et des obstacles rencontrés jusqu'alors par les professionnels des médias. Les journalistes, qui sont encore en train d'apprendre comment s'équiper pour leur rôle, ont parfois du mal à gérer cette nouvelle liberté et la façon de couvrir plusieurs points de vue tout en informant d'une manière objective. Aujourd'hui, les médias deviennent de plus en plus équilibrés dans leur façon de couvrir les événements et font de la place pour une diversité de points de vue. Par exemple, le quotidien de langue française La Presse propose désormais des pages d'opinion, constamment remplies de lettres de leurs lecteurs, citoyens ordinaires. Le blog collectif indépendant Nawaat.org a fait récemment passer un message en utilisant des affiches, des encarts dans les journaux et des spots télévisés, promouvant l'idée que : « la liberté de la presse ce ne sont pas que des slogans, c'est une culture ». « Nous donnons à entendre tous les points de vue à partir du moment où ils sont donnés dans le respect de l'autre » explique l'équipe de Nawaat.org Et à l'occasion de la journée mondiale de la liberté de la presse, le 3 mai dernier, un colloque autour de la liberté de la presse et ses défis s'est tenu à Tunis sous l'égide de l'UNESCO. Organiser un tel événement en Tunisie avait une symbolique forte: une sorte de coup de pouce à la démocratie naissante, une manière de souligner l'importance d''une presse libre à la fois pour le pays et pour les autres à qui la Tunisie sert d''exemple. Le rôle principal de la presse est d'informer, d'éduquer et de divertir tout en servant de forum pour une multitude de points de vue. Mais la presse doit dépasser ce rôle pour en endosser un autre: celui de permettre aux gens de construire des passerelles pour mieux se comprendre. En informant, on invite à écouter, ce qui aide à comprendre et à résoudre les conflits sociaux. Et c'est en ce sens que la journaliste et rédactrice en chef du site féminin Baya.tn Sonia Bahi, a été récompensée pour son article: « Et si on laissait une chance au gouvernement ? » qui soulignait la responsabilité du gouvernement et des citoyens à faire avancer la Tunisie. Sonia Bahi est une des nombreuses journalistes à avoir participé à un programme de formation professionnelle pour journalistes. L'organisation non-gouvernementale Search for Common Ground qui travaille dans le domaine de la transformation des conflits- et qui a organisé la formation à laquelle Sonia Bahi a participé – et l'organisation Media in Cooperation and Transition, qui est spécialisée dans le développement des médias, ont offert des cours à de jeunes journalistes tunisiens pour qu'ils puissent améliorer leurs compétences professionnelles et réfléchir au rôle des médias pendant la période actuelle de transition. En écrivant un article sans se focaliser sur les erreurs et sans arrière-pensées quant à la motivation des acteurs d'un événement, les journalistes peuvent mieux faire avancer la société dans son ensemble. Et lorsqu'il s'agit de questions sensibles, dépassionner le débat en écrivant d'une manière constructive et objective permet de mieux s'entendre et de trouver des solutions. « J'ai appris beaucoup de choses grâce à cette manière de travailler: ne pas s'arrêter aux idées reçues, faire entendre les différents points de vue : des erreurs que les journalistes tunisiens font régulièrement par manque de formation. Je pense qu'écrire autrement, changer nos habitudes, produire des écrits plus construits et plus professionnels nous permettra d'avancer » explique Sonia Bahi. D'une manière générale, les journalistes tunisiens semblent comprendre qu'ils doivent jouer un rôle pour apaiser la société et non attiser les tensions. Discuter autour d'un point qui fait débat dans la société ne doit pas mener à la confrontation. Il faut en fait faire entendre les différents points de vue et chacun doit savoir accepter les arguments de l'autre, pour atteindre ainsi un vrai pluralisme. De plus, l'adoption d'un nouveau code de la presse et la mise en place prochaine d'une haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle iront dans ce sens. Ces mesures vont permettre l'instauration d'une vraie charte déontologique pour garantir le pluralisme d'expression. Finalement, un cadre de travail et une réelle déontologie journalistique sont en train de voir le jour en Tunisie, permettant ainsi aux journalistes de progresser et d'aider à la construction d'une démocratie saine.