Le parquet de Oujda a ordonné l'ouverture d'une enquête suite aux déclarations du prédicateur extrémiste Abdellah Nhari. Celui-ci avait, dans une vidéo publiée sur internet, laissé entendre que le journaliste Mokhtar Laghzioui devait être tué. « Tuez celui qui n'éprouve pas de jalousie », a lancé le prédicateur, faisant allusion à Mokhtar Laghzioui qui défendait la liberté sexuelle. Abdallah Nhari est-il allé trop loin ? La justice a en tout cas ordonné une enquête après que le parquet général de Oujda a jugé les récents propos du Cheikh extrémiste incitant au crime. L'affaire fait grand bruit depuis quelques jours, le très populaire prédicateur oujdi Abdallah Nhari avait, dans une vidéo publiée sur youtube, laissé entendre que le rédacteur en chef du quotidien Al Ahdath Al Maghribiya devait être tué. Ces propos viennent en réaction à une récente apparition du journaliste sur la chaîne Al Mayadine, dans laquelle il défendait les libertés individuelles au Maroc, parmi elles la liberté sexuelle. Inconcevable aux yeux de Nhari qui, durant 11 minutes d'un prêche enflammé s'étant déroulé jeudi dans une petite pièce, s'est violemment attaqué à Mokhtar Laghzioui. « Tuez celui qui n'éprouve pas de jalousie », a martelé le prédicateur, faisant allusion à Mokhtar Laghzioui qui, selon lui, a défendu la liberté sexuelle de sa mère, sa sœur, et son épouse. Si effectivement le journaliste arabophone s'est déclaré en faveur de la liberté sexuelle pour sa sœur, sa fille, et sa mère, il n'a a aucun moment parlé de son épouse. Or, dans son prêche, Nhari a sous-entendu que le journaliste ne trouvait pas de problème à ce que son épouse ait des relations sexuelles hors-mariage, allant jusqu'à le traiter de « dayout », un terme religieux voulant dire cocu. Soutenu par ses confrères Nhari est allé plus loin dans sa vidéo. Selon lui, « trois personnes ne rentreraient pas au paradis : le traître à ses parents, le buveur d'alcool, et le cocu ». Ses déclarations sont d'autant plus ahurissantes que Nhari prétend défendre la Constitution en tenant de tels propos. Avant de s'être vivement attaqué à Laghzioui, le prédicateur s'était d'abord attelé à critiquer l'AMDH. L'Association marocaine des droits humains qui avait, quelques semaines auparavant, lancé un appel à la dépénaliser les relations sexuelles hors-mariage. Nhari s'est quant à lui fait sa propre idée là-dessus, « ce genre d'associations laïques sont corrompues et financées par l'Europe et les Occidentaux », a-t-il déclaré. Le corps journalistique a, presque à l'unanimité, exprimé son soutien au journaliste. 2M a consacré plusieurs journaux télévisés à cette affaire. Dans le journal télévisé de samedi soir sur 2M, le directeur de publication d'Al Ahdat Al Maghribiya Mohamed Labrini a jugé que « l'affaire ne devait pas se raccourcir à Laghzioui et Nhari », mais qu'elle avait une dimension « sociétale ». « Aujourd'hui c'est Laghzioui, demain ça peut être n'importe qui d'autre », a-t-il déclaré, avant d'ajouter que « l'appel au meurtre était prémédité, compte tenu de la qualité de la vidéo », on pouvait effectivement y apercevoir Nhari muni d'un micro-cravate attaché à sa chemise. La présidente de l'association pralaïcité Bayt Al Hikma, Khadija Rouissi, s'est elle aussi solidarisée avec le jeune rédacteur en chef. « Comment est-ce possible qu'à l'heure où nous demandons à ce que la peine de mort soit abolie que des personnes puissent encore inciter au meurtre en dehors du cadre judiciaire », s'est-elle alarmée. « L'ordre public est en train d'être discuté » Très populaire auprès d'une large frange d'internautes marocains, Abdallah Nhari n'a-t-il pas fait finalement qu'exprimer un point de vue ? « Monsieur Nhari peut librement exprimer sa pensée, sans pour autant porter atteinte à l'intégrité physique d'une personne », a pour sa part répondu Amina Bouayach, ancienne présidente de l'OMDH (l'Organisation marocaine des droits de l'Homme). L'OMDH qui, pour sa section de Casablanca, a publié un communiqué de soutien à Mokhtar Laghzioui. Admettant que le sujet pouvait être sensible dans un pays comme le Maroc, Bouayach a défendu le fait que « les Marocains n'ont pas pour habitude d'exprimer leurs idées par la violence ». Toutefois, la droit-de-l'hommiste a admis que le débat ouvert par Laghzioui « était une bonne chose ». « Je pense que c'est important que les Marocains aient le courage de s'exprimer sur de tels sujets », s'est-elle félicitée, jugeant que « l'ordre public marocain est en train d'être discuté ». Nhari, le polémiqueur L'autoproclamé Cheikh Nhari n'en est pas à sa première polémique. En 2011 déjà, le Cheikh s'était violemment attaqué à la ministre de la Famille et de la solidarité de l'époque, Nouzha Skalli, qui avait prôné l'égalité des sexes entre les femmes et les hommes. « Elle devrait être présentée devant un tribunal si les lois de ce pays étaient respectées », avait-il déclaré à son encontre. Culture, sport et politique, tous ces sujets ont été traités par le Cheikh Nhari depuis des années. Ses vidéos sont des « best-vues » sur le site de partage youtube. Il n'y a qu'a voir les centaines de commentaires d'internautes en faveur de ses déclarations. L'on est alors devant cette réalité que la société marocaine est encore loin d'admettre des concepts tels que la laïcité, la liberté de conscience, ou encore la liberté sexuelle. * Tweet * * *