Jacques Demy est une figure tout à fait à part dans le cinéma français. Devenue culte au fil des ans, son œuvre, aussi flamboyante que mélancolique, est surtout aujourd'hui synonyme de brillantes comédies musicales made in France. Genre qu'il a été l'un des rares à honorer avec panache et intelligence, dans l'Hexagone. Au hit-parade de ses films, je mettrais sans doute en tête « Les demoiselles de Rochefort », pour ses sœurs jumelles pétillantes, pour Gene Kelly qui a spécialement traversé l'Atlantique afin d'y participer, pour la musique de Michel Legrand qui possède encore aujourd'hui un attrait irrésistible et imparfait. L'un des autres atouts majeurs du film est bien évidemment le charme fou de Françoise Dorléac, magnifique actrice, sœur de Catherine Deneuve, disparue prématurément dans un accident de voiture, à l'âge de 25 ans. Ce qui ajoute une touche de mélancolie à ce film qui en contient déjà pas mal. L'un des thèmes récurrents du cinéma de Demy est la rencontre manquée entre deux êtres. « Les demoiselles de Rochefort » n'y échappent pas. Il y est question de quêtes désespérées, de rencontres ensuite et de déceptions enfin. Delphine (Catherine Deneuve) et Solange (Françoise Dorléac) sont deux jumelles de 25 ans, ravissantes et spirituelles. Delphine, la blonde, donne des leçons de danse et Solange, la rousse, des cours de solfège. Elle vivent dans la musique comme d'autres vivent dans la lune et rêvent de rencontrer le grand amour au coin de la rue. Justement des forains arrivent en ville et fréquentent le bar que tient la mère des jumelles (Danielle Darrieux). Une grande foire se prépare et un marin rêveur cherche son idéal féminin… Sous son allure de bluette gentille et colorée, « les demoiselles de Rochefort» est en réalité un film d'une grande finesse et dévoile des dimensions insoupçonnées. Catherine Deneuve raconte que c'est grâce au tournage de ce film qu'elle s'est rapprochée de sa sœur Françoise Dorléac, dont la disparition prématurée constituera, de son propre aveu, la déchirure la plus importante qu'elle ait jamais éprouvée. Leur relation à l'écran fonctionne merveilleusement et le reste du casting est juste parfait. Venus tout droits de Hollywood, Gene Kelly et George Shakiris (le Bernardo de « West Side Story ») sont là pour souligner l'admiration de Demy pour ce cinéma là et livrent, avec Danielle Darrieux, Michel Piccoli et Jacques Perrin, des performances mémorables. Fort du succès de son précédent film, « Les parapluies de Cherbourg », Jacques Demy s'offre dans le suivant un casting cinq étoiles et les moyens techniques dont il rêvait. L'hommage de Demy à la comédie musicale américaine marque cependant la fin d'un âge d'or, non pas parce que Gene Kelly compte dans sa chevelure « quelques mèches d'argent » comme le chante Solange, mais parce que la concurrence de la télévision, dans les années 70, chasse le genre des écrans américains. Certes, Broadway fournit toujours de solides adaptations, et le film musical de coulisses fait