On dit des chiens qu'ils ressemblent à leur maître. Soit que ce dernier les choisisse en fonction d'une similitude inconsciente entre les deux caractères, soit, plus probablement, que le chien, animal placide et volontaire, s'adapte à la psychologie de son maître. Cette réalité éthologique a son pendant politique. Pas dans tous les systèmes politiques, certes, mais dans ceux qui érigent une personne en concentré de pouvoir et de représentations symboliques, il n'est pas rare de voir, de proche en proche, se propager dans les cercles subalternes, les mêmes comportements, les mêmes tics, les mêmes habitudes vestimentaires. Observez une entreprise, une administration centralisée, un organisme quelconque, le chef produit de tels mimétismes. On s'est moqué des chapeaux que portaient les Mitterrandiens, pour sans doute assimiler la force magique du grand François Mitterrand. Péché véniel en comparaison des comportements nocifs qui se multipliaient autour de Berlusconi ou de Bush Junior. Le maître concupiscent attire ou façonne autour de lui autant de compulsifs sexuels, comme le maître ignare et brutal autant de grossiers personnages. Ce mimétisme ne touche pas seulement les plus proches, mais également les concurrents : par un effet spéculaire, les adversaires politiques empruntent souvent les traits de l'ennemi, ou portent à leur tête celui qui peut le mieux combattre avec les mêmes armes. Il s'agit là d'un des traits du système de cour, une autre dimension de la « curialisation », qui, à partir d'un centre-repère, propage une culture. Mais il est à observer que tous les régimes politiques n'ont pas cet effet. Les systèmes parlementaires accordent plus d'importance à des alliances entre plusieurs centres de pouvoir qu'à une incarnation personnalisée, et malgré l'exemple de Berlusconi, cité précédemment, la majorité des régimes politiques européens évitent ce genre de travers. Car leur architecture institutionnelle et politique est moins un faisceau convergent vers un seul homme, le président élu, qu'un polygone de pouvoirs. La majorité sauf le régime institutionnel français. La Ve République est exceptionnelle dans le paysage politique européen. Et parmi les singularités qu'elle accumule, cette importance, rarement notée, du chef comme repère psychologique. De Gaulle s'entoura de chevaliers, filiformes et passionnés, s'en donnant l'air en tout cas. Et beaucoup de ses héritiers affectèrent cette attitude : Chirac comme De Villepin, par exemple. Giscard le technocrate, trop brillant pour être charismatique, attira à lui Raymond Barre. Mitterrand le Florentin rassembla une cour athénienne de jeunesse séduite et malléable... Cette éthologie politique, la France, malheureusement, la connut également durant le mandat précédent. C'est là un des aspects les moins notés de la politique de Nicolas Sarkozy : il multiplia autour de lui un caractère que les Français apprirent à connaître, pas seulement en politique. Dans les grandes entreprises comme dans la presse, dans les universités comme dans les médias, on a cru bon, on a cru moral, d'être cynique et brutal, d'être grossier pour être franc, d'être violent pour être efficace, d'être malhonnête pour être expéditifs et toujours, d'être méprisant et hautain envers plus faibles que soi, servile et envieux envers les plus puissants. Ce n'est pas trop spéculer que dire que le mandat qui s'ouvre annonce une nouvelle ère « psychologique » dans la scène publique française. Que l'exemple du nouveau président humanisera les institutions et les organismes, les partis et les entreprises. Mais il s'agit d'un pis-aller, en attendant un réel réaménagement institutionnel et politique de la République, qui la débarrassera définitivement de ses côtés bonapartistes, dont elle n'a plus besoin.