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Coup d'Etat dans les médias publics | Le Soir-echos
Publié dans Le Soir Echos le 09 - 04 - 2012

Le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, Mustapha El Khalfi, n'a point dérogé à la règle en prouvant qu'un changement en appelle un autre. Après avoir suspendu de manière définitive (sous le règne de l'équipe Benkirane, faut-il le préciser) le passage des spots publicitaires des jeux de hasard à la télé, El Khalfi vient de récidiver en élaborant, fin mars, de nouveaux cahiers des charges pour la Société nationale de radiodiffusion et de télévision (SNRT) et Soread-2M. L'initiative est adoptée, un jour plus tard (le 29 mars), par le Conseil supérieur de la communication audiovisuelle, gardien du temple et régulateur, avec la Haca, du secteur audiovisuel dans le pays. Fait nouveau et encore incongru pour les professionnels du secteur, les deux cahiers des charges apportent un véritable bouleversement dans le fonctionnement des deux chaînes, dans leurs grilles des programmes, avec des répercussions certaines sur les moyens humain et matériel. La chaîne Arrabia, par exemple, devient une chaîne culturelle et la ligne éditoriale de la chaîne Al Maghribia (satellitaire) est redéfinie de manière à renforcer ses missions destinées aux Marocains résidant à l'étranger. Plus étonnant, la langue française n'a plus sa place dans les deux sociétés de médias publiques. Al Oula, les journalistes produiront dorénavant 3 JT en arabe et un en amazigh (sous-titré en arabe) par jour. En termes de quota, 80 % des émissions de la première chaîne seront en langue arabe et Hassani et les 20 % restant en amazigh. Radio chaîne internationale, elle, produira désormais, au moins quatre fois par jour, des journaux radiophonique en arabe, français, anglais et espagnol. Plus frappant cette fois-ci, Radio 2M n'émettra plus qu'en arabe et en amazigh, avec une production musicale nationale de pas moins de 70 % entre 6h du matin et minuit. A 2M, la télévision, les équipes de rédaction produiront désormais au moins 2 JT en arabe (à 12h45 et 20h45), un en amazigh, un régional, et un cinquième (certainement décalé au delà de 23h !), en français. Contacté à ce propos, Mustapha El Khalfi, ministre de la Communication tient fermement à faire relayer que « les rédactions et le staff francophones du pôle public (quelque mille personnes, ndlr) n'ont pas de quoi s'inquiéter »: « Nous allons procédé par une approche visant d'abord à la valorisation des ressources humaines dont disposent actuellement les deux sociétés. Puis, dans un second temps, définir avec celles-ci une politique prévisionnelle dans la gestion de ces mêmes ressources», explique-t-il.
L'argument de la compétitivité
A la SNRT, c'est une totale consternation, ajoutée à un véritable branle-bas de combat. Alors que certains ont esquivé nos questions, un responsable à Dar Brihi nous a confié que les équipes, loupe à la main, se sont illico penchées sur le cahier des charges pour y déceler les tenants et aboutissants : « Nous essayons de comprendre ce qu'on nous demande exactement de faire », déclare ce dernier avant d'ajouter : « A première vue, nous sommes sollicités pour un travail qui suppose des recrutements en masse et des moyens énormes». Le constat de ce vieux routier des médias est corroboré par le contenu du cahier des charges : des émissions (52 minutes) thématiques hebdomadaires, dédiées à la femme et aux MRE, une capsule de 13 minutes, au contenu religieux, à périodicité quotidienne et des dessins animés (au moins un 26 minutes), de production nationale et émis à fréquence hebdomadaire… « Al Jazeera Documentary, autant que les chaînes religieuses satellitaires réalisent aujourd'hui des taux d'audience très importants. Nous devons être compétitifs en produisant nos propres émissions, avec une empreinte nationale en prime», argue Mustapha El Khalfi. Chez Soread-2M, le ton est plus alarmant. « Nous sommes encore sous le choc. C'est tellement irréaliste que nous avons encore du mal à y croire. Lorsque nous avons reçu la nouvelle, beaucoup parmi nous ont cru à un poisson d'avril ! », déclare cette journaliste ayant cumulé une vingtaine d'années dans le métier. Presque offusquée, elle n'hésite pas à déclarer également que l'initiative a été montée dans le dos des professionnels, chose d'en se défend El Khalfi.
Naïfs, vous dîtes ?
Le lendemain de l'approbation des nouveaux cahiers des charges, ce dernier nous confie que les cahiers des charges ont été élaborés selon une approche participative et en étroite collaboration avec les responsables de la SNRT, de la Soread- 2M et de la HACA (Haute autorité de la communication audiovisuelle). Le ministre avait également précisé, auparavant, que plus de 90 % des propositions, formulées par environ 35 instances et associations nationales de différentes sensibilités, ont été intégrées dans ces documents. Côté financement, vu l'importance de la production audiovisuelle à fournir, le ministre reste plutôt évasif, précisant toutefois que les 2 milliards de DH de budget et le 1 milliard de recettes publicitaires du pôle public ne suffisent point. Sur le plan politique, l'initiative de l'équipe Benkirane n'a rien d'étonnant. El Khalfi a regardé beaucoup plus du côté des électeurs que d'une minorité francophone qui, souvent snobe les chaînes nationales. « Il n'y a pas de quoi s'inquiéter. Politiquement, l'équipe Benkirane a raison en procédant de la sorte. Elle ne fait que suivre une logique de calcul politique, alors que les communales approchent. Il ne faut pas non plus dramatiser. Tous les Etats défendent leur langue», rassure Khalil Mgharfaoui, professeur linguiste, spécialiste de l'interculturel. Tout porte à croire que ce n'est qu'un début. La volonté de l'équipe Benkirane paraît, a priori saine et se base sur des arguments puisés dans la Constitution. Les professionnels, eux, restent encore indécis et ne cachent point leur appréhension. Seules les prochaines étapes de l'approche El Khalfi nous diront qui, des deux, avait raison de dire…qu'un changement en apporte toujours un autre.


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