Quelles sont les réelles ambitions des touaregs du MNLA face à l'incapacité militaire de la junte qui a pris le pouvoir à Bamako ? Les ambitions affichées par le MNLA (ndlr : Mouvement national de libération de l'Azawad) depuis le déclenchement de la rébellion sont l'indépendance de l'Azawad et une autodétermination pour les populations. Au début de la rébellion, les insurgés ont aussi affirmé leur volonté de s'en prendre au président malien Amadou Toumani Touré (ATT), mais avec la junte au pouvoir et même l'annonce d'une prise de distance avec le mouvement Ansar Dine, on peut se demander si cet objectif est encore d'actualité. Le jeu reste extrêmement ouvert et les positionnements extrêmement fluctuants, même au sein d'un MNLA qui n'est pas monolithique et doit se positionner face à des islamistes qui semblent les déborder. La communauté internationale redoute une islamisation du nord Mali qui se répercutera sur tout le pays. Qui sont les maîtres du nord Mali actuellement ? Certains observateurs ont parlé de « somalisation » du nord Mali, et l'expression me semble bien résumer la situation. Une partie des territoires est plus ou moins sous le contrôle du MNLA, tandis qu'une autre partie est tenue par des islamistes, dont Ansar Dine et les chefs d'AQMI. Localement, la situation peut d'ailleurs être complexe. À Gao par exemple, selon un député local, le MNLA, Ansar Dine, le Mujao et d'autres groupes contrôleraient chacun des quartiers différents. Concernant une islamisation du Nord Mali, la question principale est de savoir dans quelle mesure le MNLA « historique » a les moyens de continuer à peser face à un allié devenu trop encombrant ou si, au contraire, il risque d'être évincé par des mouvances islamistes qu'il annonçait vouloir combattre au début de la rébellion avant de décider de concentrer ses forces contre le président malien. Comment expliquez-vous cette avancée fulgurante des rebelles touaregs qui ont pris tout le nord en trois jours de combat ? Cette avancée n'est pas vraiment étonnante depuis l'issue des combats pour Tessalit. Il ne faut pas oublier que l'armée malienne est, mis à part quelques unités, de très faible niveau, et reste minée par la corruption qu'a dénoncée la junte. De même, le coup d'etat a très probablement accentué la démoralisation des unités, voire même de leurs chefs, dont certains avaient été nommés par ATT. Troisième raison, la guerre dans le désert se caractérise par des phases d'exploitation marquées par une grande mobilité, pour peu que la logistique permette aux véhicules d'exploiter les espaces ouverts. Enfin, il est aussi possible que des mercenaires aient été engagés par les groupes armés grâce aux revenus des trafics voire des rançons, faisant pencher la balance en faveur des rebelles et notamment d'Ansar Dine. Quelles sont les conséquences de cette situation sur les pays voisins tel que le Niger qui était aussi confronté il y a peu de temps à une rébellion touarègue ? Les conséquences sont catastrophiques. Après la fin de la rébellion du MNJ (ndlr: Mouvement nigérien pour la justice) en 2009, le retour de plus de 200 000 nigériens de Libye, qui se sont ajoutés aux 20 000 rentrés de Côte d'Ivoire, l'arrêt des transferts d'argent par ces personnes, la chute du tourisme dans les régions du nord, l'afflux de réfugiés maliens, la situation alimentaire, les autorités doivent maintenant faire face à l'effondrement de leur voisin… Or, la marge de manœuvre du président nigérien Mahamadou Issoufou est faible, et en cas de contagion de la rébellion, l'armée nigérienne risque de ne pas peser lourd dans la balance. Pour la Mauritanie, l'arrivée au premier plan d'Ansar Dine et les informations selon lesquelles des chefs d'AQMI seraient à Tombouctou signifie une dégradation considérable de la sécurité régionale et un échec des efforts menés jusque-là pour combattre les groupes terroristes. Finalement, « tout ça pour ça ? » La CEDEAO a mis 2000 hommes en alerte et a promis de repousser les rebelles pour permettre au Mali de retrouver son intégrité territoriale. Quelle est la marge de manœuvre de cette force dans ce conflit ? La marge de manœuvre est faible. 2000, c'est d'abord à la fois beaucoup et peu au regard de l'étendue des territoires à contrôler. De plus, les interventions internationales sont toujours compliquées à mettre en place. Et le consensus entre les parties ne va pas toujours de soi, sans compter que là, la junte et la CEDEAO sont engagées dans un bras de fer. Et pourtant, étant donné l'état de l'armée malienne, la force de la CEDEAO apparaît comme l'un des seuls moyens, voire le seul, pour endiguer la potentielle progression de groupes armés vers le sud. Mais cela impose d'aller vite. Comment sortir le Mali de cette situation ? Cela va être long et compliqué. La trajectoire de la Somalie depuis la mort du dictateur Siad Barré en 1991 et le départ des casques bleus d'ONUSOM en 1995 fait froid dans le dos sur l'avenir possible du Mali et de la région. La priorité est de débloquer la situation politique à Bamako pour permettre une action régionale et stabiliser la situation. Mais en tout état de cause, pour préserver l'intégrité territoriale du Mali, il faudra également repenser l'ensemble de l'organisation de l'Etat malien, ce qui s'annonce extrêmement difficile étant donné les luttes de pouvoir et les enjeux liés à la redistribution des ressources. Encore qu'il peut y avoir pour un pouvoir malien une carte à jouer si l'on assiste à une détérioration des relations entre le MNLA et les islamistes. La junte militaire appelle l'Occident à la rescousse Le capitaine Amadou Sanogo, chef de la junte malienne, a appelé les Occidentaux à intervenir militairement dans le nord du Mali, contre les groupes islamistes armés, dans un entretien publié, hier, dans les quotidiens français Libération et Le Monde. « Si les grandes puissances ont été capables de traverser les océans pour aller lutter contre ces structures intégristes en Afghanistan, qu'est-ce qui les empêche de venir chez nous ? Notre comité veut le bien du pays. L'ennemi est connu et il n'est pas à Bamako. Si une force devait intervenir, il faudrait qu'elle le fasse dans le Nord. Il n'y a pas d'urgence à Bamako. L'urgence, c'est le Nord », a déclaré le chef de la junte.