Quel est le rôle de la cuisine aujourd'hui ? La cuisine a un rôle politique, économique et social. On oublie qu'il y a eu des guerres pour le poivre par exemple. Alors qu'en Europe, ce que faisaient les femmes dans les maisons a été transformé en apprentissage à travers la création d'écoles de cuisine, ici, au Maroc, dans les écoles hôtelières, on n'enseigne que la cuisine internationale. A cause de cela, la cuisine marocaine peut mourir. C'est ça le vrai problème, et je l'ai compris il n'y a pas très longtemps. Il ne s'agit pas de remettre le système en cause, mais d'imposer une formation à la cuisine marocaine dans ces écoles. Si on ne fait pas cela, dans les années qui viennent, on aura une cuisine qui ne sera ni française, ni marocaine. Il faut préserver notre patrimoine et notre culture et intéresser les gens comme l'a fait la France avec sa gastronomie. On copie la France pour tout, copions le meilleur de la France. Que proposez-vous pour que la cuisine marocaine ait sa place au Maroc ? Les grands chefs français ont d'abord appris les techniques avant de créer leur propre cuisine. Nous, on commence par la queue. La création oui, mais il faut commencer par l'ancien pour aller vers le nouveau. On a un problème d'image. Les touristes qui visitent le Maroc se plaignent de plus en plus fréquemment de mal manger pendant leur séjour. On doit valoriser la cuisine marocaine et tout est à faire dans ce domaine. Est-ce que cette valorisation passe seulement par l'écriture de livres ? J'ai écrit une quinzaine de livres de cuisine pour offrir en partage les recettes que m'ont transmises de vieilles dames qui, sans cela, seraient mortes avec leurs secrets. Aujourd'hui, j'ai envie de faire encore plus. Sur Fatéma Hal TV, j'ai deux vidéos sur la Mrouzia et le couscous. J'aimerais créer une chaîne consacrée à la cuisine marocaine et à l'art de vivre sur le Web avec des reportages sur les produits et leur histoire. Cela permettrait de montrer les gestes et les techniques. J'ai déjà trois partenaires français sur ce projet. Je cherche maintenant des sponsors marocains, des gens qui ont quelque chose à défendre. Mais cette valorisation passe aussi et surtout par la création d'une académie ou d'une fondation qui pourrait former des cuisiniers à la cuisine marocaine. Si l'état ne suit pas sur ce sujet, c'est peut-être aux industriels qu'il faut s'adresser pour mettre en route ce grand chantier… Vous allez présenter votre livre autobiographique Filles des frontières au SIEL. C'est un changement de genre. Pourquoi ce livre ? Parce que j'avais envie de faire la paix avec certaines blessures et de raconter l'histoire d'autres femmes qui ont formé le socle sur lequel je me suis construit. Fille des Frontières aux éditions Philippe Rey De sa naissance à Oujda à son installation à Paris, où elle a créé son célèbre restaurant Le Mansouria, Fatéma Hal se raconte dans ce livre, revenant sur son enfance, marquée par l'absence du père, dans un univers de femmes : Mansouria, sa mère, sa tante Yamina, chanteuse pour femmes, les Dadas, anciennes esclaves à qui elle rend hommage. Un récit mêlant humour, personnages fantasques, sublimes vengeances, saveurs de la cuisine, youyous, chants d'Oum Kalthoum… mais aussi guerre d'indépendance algérienne, misère, répudiations, immigration…Pour le magazine français l'Express, avec ce livre Fatéma Hal « est une conteuse dans la lignée d'Albert Cohen ». C'est aussi Fille des frontières qui lui a valu une page dans le « Time Magazine » du 17 octobre 2011. « Si Benjamin Netanyahu et Mahmoud Abbas se retrouvaient autour d'un couscous préparé par Fatéma Hal, le problème du Moyen-Orient ne pourrait pas être résolu, mais les deux côtés pourraient certainement mieux se comprendre » explique le journaliste du Time Magazine…