Les résultats des élections législatives du 25 novembre 2011 mettent en relief les indices de la crise des partis politiques marocains. Le taux d'abstention de 55% marque le point d'orgue du profond malaise politique et social ressenti par une partie des citoyens. Mais, dans le contexte politique si particulier de « post-alternance », l'abstentionnisme peut paradoxalement manifester un intérêt pour la politique ! En effet, la non-participation ne résulte forcément pas d'une absence d'opinion, elle peut aussi se fonder sur un diagnostic critique des performances du travail gouvernemental et des partis politiques. S'agissant des abstentionnistes, beaucoup d'entre eux sont des jeunes peu convaincus de l'utilité du vote lui-même, censé conférer un surcroît d'autorité légitime à ceux qui exercent le pouvoir et réactiver chez les gouvernés le sens de leur appartenance au groupe grâce à l'exercice collectif d'une prérogative partagée. Tous ceux qui ont dit oui à l'abstention ont dit non aux partis. En refusant de prendre part au rituel, ces jeunes n'ont pas péché par incivisme : ils ont tout simplement marqué leur mécontentement et leur lassitude à l'égard des vaines promesses des partis en lice. Ces voix constituent désormais une force d'opinion au Maroc, elles comptent dans la nouvelle géographie politique du Maroc ! Lorsqu'elle est un acte politique, l'abstention doit être prise en considération. L'abstentionnisme doit être aussi analysé en rapport avec la désaffection des Marocains et particulièrement des jeunes vis-à-vis de la politique, qui prend des formes souvent involontaires. L'abstentionnisme doit être appréhendé comme une donnée structurelle touchant une fraction de la population qui fait preuve de la plus grande indifférence à l'égard de la politique officielle. En réalité, plusieurs problèmes sociaux comme le chômage conditionnent le comportement des abstentionnistes et détournent leur attention de la sphère politique. A cela s'ajoute la faiblesse des partis politiques en matière d'encadrement des jeunes, quand on sait que la grande partie des instances dirigeantes des formations politiques sont dominées par les élites traditionnelles au point que l'engagement des jeunes au sein de ces formations demeure limité à cause du manque de démocratie interne. Hassan Zouaoui Docteur en sciences politiques (Lauréat de l'Université Paris I-Panthéon Sorbonne) Ainsi, nous pouvons affirmer que les échéances électorales mettent d'ores et déjà en jeu la compétence politique des acteurs partisans. Le modèle compétitif de la démocratie « marocaine » explique à cet égard l'écart constaté entre les idéaux démocratiques et la réalité du fonctionnement des organisations qui en sont les principales animatrices. L'hypothèse principale est que l'alternance politique « à la marocaine » a largement contribué à la banalisation de l'activité partisane dans la mesure où elle a maintenu les forces politiques dans un état de confusion idéologique, associée ici à des positionnements politiques très semblables. Ceci induit une réduction des distances idéologiques entre ces forces aussi bien qu'une dilution des repères pourtant essentiels au décryptage de toute vie politique. A en juger par le discours des partis, l'écart entre les solutions attendues par les Marocains en matière économique et sociale, sur des sujets qui les touchent directement, et l'incapacité des élites politiques à trancher dans les dossiers les plus sensibles (comme le travail et la santé) est de plus en plus visible. Cela entretient l'image de partis incapables de mener à bien leur propre politique et manquant de courage en matière de prise de décision. D'ores et déjà, les effets de l'alternance politique « à la marocaine » se laissent aisément repérer. Les partis de pouvoir s'avèrent incapables de produire un discours porteur non seulement d'une nouvelle idéologie mobilisatrice mais aussi de véritables alternatives économiques et sociales crédibles et viables. Les négociations qui ont précédé la formation du gouvernement de Driss Jettou en 2002 ou celui d'Abasse El Fassi en 2007 ont bien montré que certains partis n'étaient pas des organisations programmatiques susceptibles de promouvoir des idées, mais plutôt des fédérations de clans s'alliant pour récolter un grand nombre de portefeuilles ministériels. Les conditions posées par certains chefs de partis politiques pour participer au gouvernement ont traduit une propension hégémonique à traiter les affaires internes de leur parti comme s'il s'agissait d'affaires personnelles. Le fonctionnement interne des organisations politiques est subverti par le jeu des relations personnelles, et ce phénomène de personnalisation, à l'œuvre dans la majorité des organisations politiques marocaines, remet en cause les modes historiques de fonctionnement de la démocratiemilitante. Il s'ensuit que la logique collective d'appartenance s'estompe devant celle de l'affiliation individuelle. C'est pourquoi il convient d'évaluer le discours de la démocratie participative préconisé par les partis politiques comme un discours fictif ne traduisant qu'une quête désespérée de légitimation. La persistance d'une conception historique du « Zaîm », propre au modèle partisan marocain, atténue cependant la portée et la référence au paradigme délibératif qui demeure ici assez symbolique. Contrairement à ce que suggèrent les grandes lignes doctrinales de l'action partisane, la gestion démocratique s'épuiserait dans cette tendance « autoritaire », qui ne cache pas ses préférences pour un mode d'allégeance contraignant, ce qui nous permet de percevoir les limites d'une démocratie partisane à la marocaine. A cet égard, la révision de ce modèle devient une nécessité majeure, liée à l'importance que représente désormais l'adaptation des structures partisanes aux conditions actuelles de l'usage de la communication politique et de l'impératif de démocratisation. De ce fait les partis politiques marocains sont invités à adapter leur dynamique au temps mondial de démocratisation pour accompagner les changements opérés et rétablir la confiance des militants et des électeurs.