Entretien. Mohamed Berdouzi, professeur à l'Université de Rabat et membre fondateur du parti « Alliances des libertés », nous livre son point de vue sur les élections françaises et le Maroc. ALM : Quel regard portez-vous sur les résultats des dernières élections en France ? Mohamed Berdouzi : Le premier constat qui polarise l'attention, c'est la montée du phénomène Le Pen, certes inquiétant en soi , mais il ne faut pas sous-estimer les capacités des démocrates français à se ressaisir et à faire barrage à ce phénomène, aussi bien par un vote massif du 5 mai contre lui que par la suite, à travers un recentrage des politiques publiques et de la gouvernance en France. Derrière ce phénomène, il faut voir plus profondément un début de la fin de la bipolarisation très classique gauche-droite de la France d'après-guerre. La droite républicaine démocrate est secouée et doit se recentrer. Le recul de la gauche socialo-communiste est significatif parce que la France est l'un des pays du monde occidental à avoir connu les partis socialistes et communistes les plus forts. On doit, donc, s'attendre, dans les années à venir à une reconfiguration complète de cette bascule classique gauche-droite. En témoignent la multiplication des partis et des candidats à la présidentielle, la tendance abstentionniste forte qui appelle de nouvelles offres partisanes et les effets de l'européanisation de la France et la pénétration future de modèles politiques, notamment britanniques, allemands, voire américains, dans la configuration partisane future de la France. Enfin, ces élections, qualifiées de séisme, mettent en cause les modèles de gouvernance français que beaucoup trouvent encore trop marqués par les stigmates de Bonaparte du centralisme, de la bureaucratie et des discours emphatiques, au détriment du pragmatisme, de l'autonomie et de l'action de proximité. Pourrait-on envisager un scénario similaire pour les prochaines élections au Maroc? Il est difficile de s'attendre à des répercussions majeures, parce que malgré le mimétisme du modèle français prédominant chez certains milieux politiques marocains, aussi bien de «droite que de gauche», la carte partisane marocaine connaît ses propres paradoxes (il y a des gens de droite qui sont très démocrates et des gens de gauche passablement autoritaires et non-démocrates). Cette carte politique connaît aussi sa propre dynamique, et la prolifération des partis n'est pas seulement une menace d'effritement, elle est aussi une promesse de sortir définitivement de la bascule qui a prédominé longtemps entre partis issus du mouvement national et ceux qui se sont beaucoup appuyés sur l'administration publique. On espèrera, donc, que des processus électoraux permettent au Maroc de sortir de cette vieille dichotomie et de dégager une carte politique à la fois rénovée, mieux ramassée et plus crédible. Que la sélection joue en positif !