Avec un langage direct et sans concession, Yassine Ayari nous livre ses impressions sur la blogosphère tunisienne, mais aussi sur les douze mois qui se sont écoulés depuis le 14 janvier 2011. Yassine est né et a grandi en Tunisie. Fils de colonel, informaticien de formation, il s'est initié au cyberjournalisme bien avant la chute du régime BenAli. Le 22 mai 2010 déjà, il avait coorganisé le fameux « nhar âala Ammar », une manifestation pour protester contre la censure. Quelques jour après, il est, contacté par la police du régime qui le prie de quitter le territoire sous peine d'emprisonnement. « J'avais deux choix : ou je quittais le pays, ou on me collait un crime de droit commun », nous raconte-t-il. Exilé en Belgique, ce n'est qu'en mai 2011 qu'il fait son retour en Tunisie, après l'assassinat de son père, tué par Aqmi, à la frontière algéro-tunisienne. « Si les blogueurs étaient unis au temps de la dictature, c'est parce qu'ils partageaientun ennemi commun.Mais après la révolution, des clans ont commencé à se former ». Financement par l'administration américaine Yassine Ayari n'aime pas qu'on mette tous les blogueurs tunisiens dans un même panier. « Il faut arrêter de parler de la blogosphère tunisienne comme étant un seul bloc », nous rétorque-t-il. Selon lui, si les blogueurs étaient unis au temps de la dictature c'est parce qu'ils partageaient un ennemi commun ; mais après la révolution, des clans ont commencé à se former. Sur la rumeur du financement des blogueurs par l'administration américaine, Ayari répond franchement : « C'est un fait », tout en rajoutant un peu plus loin, « ce que je sais, c'est qu'en 2010, il y a eu une formation à Beyrouth, une autre au Caire, les deux supervisées par l'ONG américaine Freedom House, en partie financée par le gouvernement américain ». Ayari va jusqu'à citer des personnes ayant participé à ces formations. Parmi eux Slim Amamou, le célèbre cyberactiviste tunisien, un temps devenu ministre. Les « clans » dont parle Ayari sont composés justement par des blogueurs soutenus par diverses organisations. Il y a « le clan Freedom House », mais aussi le « clan Nawaat », du nom du blog tunisien ayant milité contre la dictature de BenAli, qui selon lui est soutenu par la chaîne qatarie Al Jazeera. « Les journalistes français sont paresseux et ne font pas de recherches. Pour eux, nous faisons géopolitiquement partie de la France ». Pas d'opposition modernisme/islamisme Et lorsqu'on lui demande, à quel clan il appartient, Yassine Ayari précise : «Moi, je suis le plus insulté, par ce que je n'ai justement pas de clan, et je ne déroge pas à leurs règles. Il y a des règles dans la blogosphère tunisienne, des hiérarchies, il y a des gens qu'il ne faut pas insulter ni critiquer ». Cette indépendance lui a causé bien des soucis : « Je me suis disputé avec Lina Ben Mhenni, ensuite avec Slim Amamou, puis avec Nawaat. je suis quelqu'un qui s'en fout. Je crois en internet comme un outil, pas comme un but. Je me fous de la réputation et de la guerre électronique. Pour certains, tout ce qui compte, c'est leur image et ce qu'ils valent sur internet.» Yassine Ayari n'a pas d'idéologie à proprement parlé, selon lui, « le temps des idéologies est mort ». Quant à l'image véhiculée par les médias occidentaux sur une éventuelle bipolarisation du champ politique entre modernistes d'un côté, et islamistes de l'autre, Ayari insiste sur le fait qu'il faut faire la différence entre les médias français et les autres. « J'ai trouvé plus d'objectivité dans la presse anglosaxone que dans la presse française. La presse française a alimenté, crié, amplifié l'opposition moderniste/islamiste. Tout ça car elle sait qu'elle a beaucoup de lecteurs en Tunisie. Mais ce problème ne se pose pas », déclare-t-il, non sans un brun de colère, avant d'ajouter « la faim ne porte pas le voile, le chômage n'a pas de barbe. C'est un faux problème. Les journalistes français sont paresseux et ne font pas de recherches. Pour eux, nous faisons géologiquement partie de la France ». Ayari ne considère pas, non plus, le parti Ennahda comme un parti islamiste mais « plutôt un gouvernement de barbus, de gens pieux », « ce qui m'inquiète le plus est leur côté libéral économiquement plus que leur côté religieux », explique-t-il. Crise générationnelle Sans prétendre être politologue, Ayari estime que le meilleur régime que pourrait adopter la Tunisie est un régime de démocratie participative. Le modèle européen n'est plus l'exemple à prendre selon lui. « Les partis politiques sont restés bloqués dans leur guerre idéologique des années 70, aujourd'hui ils veulent prendre leur revanche, veulent nous faire vivre cette guerre idéologique, alors que ma génération n'en à rien à faire de ces problèmes, les idéologies sont mortes », avant de conclure : « le véritable problème en Tunisie, c'est une crise générationnelle ». La vraie histoire du Général Ammar Tout le monde se souvient qu'à la veille du départ de Ben Ali, le général tunisien Rachi Ammar aurait exprimé à Ben Ali son refus de tirer sur les manifestatnts Cette histoire a été reprise par les médias du monde entier. Mais ce que peu de gens savent, c'est que cette histoire est fausse. « C'est moi qui ai lancé la rumeur, je l'ai lancée le 7 janvier, je n'ai jamais pensé qu'elle allait prendre de telles proportions ». Pourquoi cette initiative ? Ayari répond « comme mon père était militaire, je lui avais demandé ce que faisait l'armée en ces temps troubles, il m'a répondu que c'était un problème de flics et que l'armée n'avait pas reçu d'ordre. Ce qui constituait pour moi une véritable info. Pour passer l'info dans ces flux énormes, l'idée m'est tombée de citer un nom de militaire qui aurait dit « non » à Ben Ali, et c'est par hasard que j'ai choisi le nom de Rachid Ammar ». Le mal était pourtant déjà fait, Jeune Afrique avait même fait sa une sur le Général Ammar. Ce n'est que six mois plus tard que Yassine Ayari révèle la vérité aux médias.