L'ophtalmologie est un autre parent pauvre de notre politique de santé. Jugez-en vous-même. Une vingtaine de provinces n'ont aucun spécialiste en ophtalmologie. Oued Ed-dahab Boujdour, Es-Semara, Guelmim, Tan-Tan, Zagora… Les populations de ces provinces sont totalement privées de soins et doivent donc se déplacer en cas de maladie. Si certaines régions du pays se caractérisent par un nombre réduit et insuffisant d'ophtalmologues notamment la Région Guelmim-Es-Smara qui, avec une population de 462.410 habitants, ne compte que 2 spécialistes, ou encore les Régions Laâyoune-Boujdour et Taza-Al Hoceima-Taounate, qui avec des populations respectives de 256.152 et 1.807.113 habitants, n'abritent, respectivement que 4 et 5 ophtalmologues. La Région Oued Ed-dahab-Lagouira, elle, ne dispose d'aucun ophtalmologue. Ces chiffres sont le fruit d'une étude réalisée cette année par le professeur Abdel-Ilah Yaakoubd de l'INSEA (Institut national des statistiques et d'économie appliquée) de Rabat pour le compte du Syndicat professionnel national des opticiens du Maroc. L'investigation démontre également la forte concentration des ophtalmologues, aussi bien du privé que du public, dans les grandes agglomérations urbaines. Sur les 590 ophtalmologues recensés sur l'ensemble du pays, 233 sont concentrés dans la seule Région du Grand Casablanca et 136 dans celle de Rabat-Salé-Zemmour-Zaër. A elles seules les régions abritant les capitales économique et administrative du pays abritent pas moins de 62% des ophtalmologues. Les opticiens ne lâchent pas prise. Leur organisation syndicale, fraîchement créée, vise à travers cette étude, basée sur des données officielles du ministère de la Santé de 2009, du Haut commissariat au plan et du SGG (Secrétariat général du gouvernement) à faire valoir leur importance dans notre système «défaillant» de santé. Et l'importance de leur rôle dans ces régions où les ophtalmologues font défaut. Leur action est une réponse au ministère de tutelle par rapport au projet de loi élaboré par ses soins pour l'organisation de la profession. Pour mémoire, selon ce projet, le recours à l'opticien est assujetti à un passage chez l'ophtalmologue d'abord. Ainsi, l'opticien lunetier ne peut délivrer aucun article sans prescription médicale lorsqu'il s'agit d'un patient de moins de seize ans et dans le cas d'une acuité inférieure ou égale à 6/10 après correction, ou d'une amétropie forte ou encore d'une presbytie en discordance avec l'âge. «Ce projet de loi nous réduit à de simples exécuteurs des ordonnances des ophtalmologues», s'indignent les opticiens. Les opticiens visent à travers cette étude à faire valoir leur importance dans notre système «défaillant» de santé. L'analyse dresse également la carte des opticiens dans les 16 régions. Qu'est-ce qui en ressort ? La présence des opticiens est plus importante que celle des ophtalmologues notamment dans les provinces ne bénéficiant d'aucun spécialiste dans cette discipline médicale. Ils sont 1.330. A titre d'exemple, la Région Oued Ed-dahab-Lagouira compte deux opticiens, Laâyoune-Boujdour 9, Souss-Massa-Draâ 110 et l'Oriental 79 professionnels. «D'un côté, l'effectif des opticiens exerçant au niveau national est plus que 2 fois élevé par rapport à celui des ophtalmologues. De l'autre côté, la couverture géographique des premiers est largement plus étendue mais aussi moins concentrée. Il en découle que pour de nombreuses zones géographiques du pays et pour d'importantes franges de la population, l'accès à un opticien est de loin plus aisé que le recours aux services d'un ophtalmologue», souligne le président du syndicat Ouahi Firass avant de conclure : «Dans certaines régions du royaume, le taux de couverture est parfois multiplié par 4 ou 5 lorsqu'on passe des ophtalmologues aux opticiens. C'est notamment le cas des Régions Souss-Massa-Draâ, Tanger-Tétouan et Meknès-Tafilalet. Dans certaines régions, aucune alternative n'est envisageable pour se passer de l'ophtalmo quand celui-ci fait défaut. C'est le cas de la Région Oued-Eddahab-Lagouira où pour près de 100.000 habitants aucun ophtalmologue n'est disponible et où, par conséquence, l'unique alternative est le recours direct aux services de l'un des deux opticiens présents dans la région». Syndicat des opticiens : Les retombées «négatives» du texte de loi Le Syndicat national des opticiens met en garde contre les conséquences négatives du projet de loi si ce dernier est adopté tel quel. «D'abord, des retombées socio-sanitaires, l'obligation de passer par un ophtalmologue risque de priver une bonne partie de la population, surtout indigente, de soins alors qu'elle a la possibilité de le faire étant donné la présence plus étendue des opticiens». Au niveau économique, «les opticiens exerçant dans les zones où les ophtalmologues ne sont pas présents seront condamnés à fermer puisqu'en dépit de leur présence les patients ne pourront plus faire appel à leurs services et doivent pour cela passer par des ophtalmologues introuvables dans la province où ils résident. Cela aurait pour conséquences la perte de nombreux postes d'emploi occupés et créés par les opticiens». Les opticiens sonnent l'alarme et mettent en garde contre cette clause qui menace leur profession au lieu de restructurer l'exercice de ce vieux métier, actuellement réglementé par le dahir du 4 octobre 1954.