Le contraste entre la couleur de l'eau et la couleur du ciel que l'on dirait dissimulé sous un voile de craie n'était que la dernière porte à franchir pour arriver à destination. Miloudi, excité, tout en ne laissant rien paraître, revenait à la maison pour se ressourcer, comme on dit en ville. Fidèle à son habitude, il avait fait le voyage en voiture, lentement, pour s'imprégner doucement des changements et se préparer à un séjour tranquille en laissant sur le chemin le stress de la grande ville et sa vie de coureur sans fond. Trois jours à peine le séparaient de sa vie quotidienne mais c'était un autre homme qui descendait de la voiture. Ses traits reposés, sa barbe naissante ainsi que sa tenue lui donnaient l'air de quelqu'un qui vivait en marge du bruit de la société et que les pollutions avaient épargné. Miloudi se sentait renaître à lui même. Tant de jours et de nuits avalés à la hâte, tant de mouvements, tant de bruits, alors que l'essentiel se dégageait de ce silence et de cette économie de tout. Ici, la modernité se résumait aux paraboles, gigantesques bouches ouvertes vers le ciel comme une nuée d'oiseaux qui attendent une becquée céleste, et aux téléphones portables qui disparaissaient dans les amples tissus des hayeks et des derraa. A première vue, rien n'avait changé depuis son dernier séjour. Du moins pour l'œil distrait. Mais au fur et à mesure que le pays reprenait possession de lui, le regard de Miloudi découvrait le nouvel arbustre qui poussait au fond de la cour, la poussière qui recouvrait son acacia préféré, dont la frondaison le faisait penser à la chevelure de Don King et les mille petits détails que le visiteur pressé ne verrait jamais. Les gens étaient tous là. à l'endroit où il les avait laissés. Au même endroit, dans la même position, comme s'ils n'avaient pas bougé depuis son départ. La chaleur qui se propageait dans son corps, le premier thé, la première datte étaient les premiers signes de la réalité de sa présence. Plongeant la main dans sa poche, sans même se donner la peine de le sortir, Miloudi éteignit son téléphone pour vivre sans procuration, sans prétention d'ubiquité, sans vanité les quelques jours qu'il allait passer chez lui.