D'un engraissement copieux, à un marchandage avare, en passant par une flopée de métiers saisonniers, dans quelques jours, les moutons de l'Aïd al-Adha nous jetteront, à bras-le-corps, dans la fête du même nom ! Le ministère de l'Agriculture a annoncé récemment les chiffres : six millions de têtes de moutons pour l'offre contre 5,1 pour la demande. Mais les prix ont connu une hausse de 9 % par rapport à 2010. Une hausse qui génèrera 7,8 milliards de dirhams de chiffre d'affaires. Au delà de ces chiffres vertigineux, se succèdent efforts, métiers éphémères et pratiques insolites. «La « préparation » du mouton commence quatre mois avant sa mise sur le marché. Le premier mois, on le fait rentrer de la ferme, où il broutait n'importe comment, vers un coin plus convivial près de notre maison », nous explique Ahmed Bouchob, l'un des éleveurs de Casablanca. Durant ce premier mois, le mouton s'habitue petit à petit à son nouveau foyer, à ses nouveaux amis… Il a droit à un traitement plus clément et à une hygiène impeccable. « Nous lui injectons des vaccins contre tous les virus susceptibles de le toucher », rassure Ahmed. Les mois suivants sont d'ordre festif. Dans le langage agricole, on parle d'engraissement. « On alimente le mouton de manière ponctuelle et régulière pour produire et de la viande et de la graisse», témoigne Lahcen Mouhsine, ingénieur agronome. Le mélange de l'avoine se fait avec d'autres aliments nourrissants. « La méthode artisanale lui offre un menu consistant, à base d'avoine, d'orge, de maïs, de petits pois et de soja. La méthode moderne lui assure les sels minéraux et les vitamines principales », nous apprend Lahsen Mouhsine. à une semaine pour l'Aïd, les repas complets se transforment en de simples entrées. « C'est pour que son estomac ne soit pas trop rempli », justifie l'éleveur. Inégalités animales et humaines Les moutons ne sont pas égaux, et tout le monde le sait. Au marché des moutons, certains sont plus prisés que d'autres. « Il y a plusieurs races de moutons. Le sardi, à la tête blanche, est le meilleur de tous. Le hamri (le roux), l'oujdi, le timahdét ont, eux aussi, leurs amateurs », nous explique Ahmed. En ce qui concerne les perles rares, les villes marocaines connues pour leurs moutons irréprochables sont Khouribga et Berrechid. « Un mouton bien cornu, c'est parfait ! Les gens aiment les cornes. Le mouton idéal serait un sardi, à la tête blanche, au contours des yeux noir et âgé d'un an », nous dit avec assurance, le fils d'Ahmed. Interrogé sur la situation actuelle du marché, ce dernier se montre gêné et impatient : « Les vendeurs sont là, mais les acheteurs, pas encore. » Pour les prix, c'est chacun selon ses moyens. « Il y a entre 2 000 et 8 000 dirhams. Cela dépend de ce que chacun désire. Le beurre ou l'argent du beurre », nous révèle Ahmed. « Le poids idéal serait entre 110 et 120 kilos », enchaîne notre ingénieur agronome. Mais Ahmed, tout comme Lahsen, ils reconnaissent la baisse du pouvoir d'achat. Pour eux, « tout est tombé en même temps cette année : la pluie tardive, la rentrée scolaire, la crise. Parfois, les gens qui n'ont pas les moyens nous supplient de leur faire un bon prix. On finit par donner les moutons gratuitement. Il faut s'entraider. » Pour les gens qui ont du cholestérol, pas question de rater le banquet. Une fête d'aubaines Le chevreau (J'di), faible en matière grasse, n'est pas nocif pour la santé de ceux qui veulent à tout prix manger de la viande lors de la fête. Hormis le mouton, sa viande et son champ lexical, Aïd al-Adha est également connu pour ses traditions, ses excès et ses métiers saisonniers. Alors que les opérateurs téléphoniques offrent des triples recharges improbables et que les maisons de crédit se maquillent de gratuité, d'autres s'offrent une protection contre le mauvais œil afin que l'Aïd se déroule bien comme il faut. « Avant le sacrifice, nous mettons du henné sur nos cheveux et nous couvrons notre tête d'un tissu blanc. Dès que le mouton est égorgé, nous pouvons enlever notre voile blanc et être sûr de passer une fête inoubliable », nous raconte Fatéma, une sexagénaire, vendeuse d'herbes aromatiques. Bien que ces traditions commencent à s'évaporer d'année en année, certains métiers persistent. « C'est hallucinant ! Le jour de l'Aïd, tout le monde devient boucher, bûcher, charbonnier, vendeur de couteaux et de broches, polisseur, engraisseur, vendeur de peau de mouton ou transporteur de ce dernier ou encore loueur de garage, et j'en passe. Chaque année, je me dis la même chose et je ne suis jamais déçu : ça va saigner et on va se régaler ! », conclut Fatema avec humour.