Ahmed Aït Haddout est le président du Réseau marocain d'économie sociale et solidaire (REMESS) constitué de 42 membres et organisations au niveau national. Il a assisté au Forum international de l'économie sociale et solidaire qui s'est déroulé à Montréal du 17 au 20 octobre. Le Soir échos lui a rendu visite dans les locaux du Réseau à Salé. Ahmed Aït Haddout a été directeur de l'Office de développement des coopératives. Il fait partie du réseau national des experts de l'INDH. Il enseigne l'économie sociale et le développement des territoires dans les Facultés de Rabat, Salé et Meknès. Mardi 25 octobre, votre réseau a organisé une rencontre consistant à dévoiler les résultats du projet SANAD, financé par l'USAID. En quoi consiste-t-il ? Ce projet consiste en un renforcement des capacités en matière de plaidoyer. Il s'adresse à la fois aux petits producteurs, marchands ambulants, petits commerçants, et aux travailleurs dans l'informel. Pour nous, c'est la catégorie de la population qui vit dans la précarité et qui a besoin d'être accompagnée. Il fallait trouver des outils pour former les membres de notre réseau au niveau des régions, sur les techniques de plaidoyer. Il s'agit de former, au niveau des associations, la personne en interface directe avec ces petits producteurs. Pourquoi précisément le plaidoyer ? Cette population ne sait pas se défendre, et aller argumenter ce qu'elle demande. Les petits producteurs sont analphabètes et ne connaissent pas les rouages du système. Par exemple, lorsqu'une coopérative de femmes est créée, ses membres ne savent pas qu'ils ont droit à un financement de la part de l'Agence du développement social (ADS) ou à une subvention de l'INDH. Notre accompagnement consiste à dire aux gens : « organisez-vous si vous voulez obtenir vos droits ». Pas pour qu'ils vous aident, mais pour que vos droits soient respectés. Il y a de l'argent, il faut le prendre, mais il est difficile de le faire individuellement. Il s'agit pour eux de s'organiser, de connaître leurs droits pour les défendre. Le REMESS a lié ses actions à certains chantiers entrepris par le Maroc. Qui sont-ils ? Absolument. En premier lieu l'INDH, qui est entrée dans sa seconde phase. Il s'agit de savoir comment accompagner et assister les petits producteurs marginalisés à s'organiser pour sortir de cette situation de précarité. Concernant le Plan Maroc Vert, il s'agit d'agréger les petits producteurs, les accompagner par une assistance de proximité, aussi bien au niveau de l'espace que de la communication. Il faut leur parler dans la langue qu'ils connaissent, et avec leur accent. Aussi, la commercialisation de leurs produits doit se faire dans un cadre équitable. Et la coopérative doit être le cadre idoine pour organiser tout cela. Qu'apporterait une « formalisation de l'informel » ? Prenons une région où il n'y a que des figues de barbarie. Ces femmes cueillent des figues pour les vendre au souk, et gagnent un revenu. Revenu qui n'est comptabilisé nulle part. Si nous allons vers l'institutionnalisation, en créant une coopérative de transformation des figues de barbarie, cette coopérative, structure collective, permettra de sortir de l'informel. Lorsque la femme sera payée, nous devons lui établir un chèque. Il y aura traçabilité, et la femme pourra ouvrir un compte à la banque. Avec sa carte de membre de la coopérative, elle pourra devenir membre de la Chambre d'agriculture. Et si elles sont nombreuses, elles peuvent même prendre la présidence de cette Chambre. L'économie sociale et solidaire souhaite mettre l'Homme au centre des préoccupations plutôt que le capital. Pensez-vous que cela est possible dans nos sociétés modernes ? Bien sûr que c'est possible. Qui a précédé l'autre, l'argent ou le travail ? Le REMESS fait la distinction entre la croissance et le développement. Il faut qu'il y ait croissance, mais que le résultat de cette croissance revienne à ceux qui ont été à l'origine de cette richesse. Or aujourd'hui, ceux qui gagnent de l'argent ne sont pas ceux qui produisent, mais ceux qui savent spéculer. Il faut également limiter le nombre d'intermédiaires entre les petits producteurs et le commerçant final. Plus il y a d'intermédiaires, plus le prix est cher au final ? Plus il y a d'intermédiaires, plus le consommateur paie, et moins le petit producteur gagne. Il faut trouver le moyen de maîtriser la chaîne et réduire les intermédiaires inutiles, pour que la répartition de cette richesse soit faite d'une manière équitable. On ne dit pas « égale », mais équitable. Celui qui travaille plus doit gagner plus. D'ailleurs dans une coopérative, l'effort de chacun constitue la référence pour sa rémunération. Qu'en est-il de l'avenir du projet SANAD ? A partir de 2010, nous avons débuté la formation dans trois régions que sont Salé, Missour et Oujda. Pour ce faire, nous avons élaboré un kit sur le plaidoyer, qui a été expérimenté en formant 15 personnes par région. Après la formation, des séminaires d'une journée ont été organisés pour étendre le débat aux autres acteurs de l'administration, ainsi qu'à d'autres associations. L'USAID vient de nous annoncer la poursuite de son appui financier, pour au moins une année supplémentaire.