Le Printemps arabe a levé le voile sur un double-discours effarant : les gouvernements professant leur solidarité avec la population des pays ébranlés par des tueries, sont ceux qui livraient des armes aux régimes répressifs. Russie, 2008. Le président russe Dmitri Medvedev déclare : « les exportations d'armes de la Russie ont atteint un record de 8,35 milliards de dollars, soit 800 millions de plus qu'en 2007 ! ». Toutefois, si le président russe s'enorgueillit de cette prouesse, il ne divulgue pas les détails des contrats signés avec ses principaux clients. Résultat de cette non transparence : la Syrie, l'un des principaux clients de la Russie a utilisé les armes lourdes importées de ce pays pour réprimer son peuple, tuant au passage plus de 3 000 civils ! De ce fait, quand le principal critère dans ce type de transactions demeure la solvabilité du client et sa capacité à respecter les clauses du contrat, même s'il s'avère être un dictateur, les autres considérations, notamment d'ordre démocratique, sont souvent délaissées. Ceci est l'une des nombreuses conclusions d'un rapport accablant de l'ONG Amnesty International, intitulé « Arms transfers to the Middle East and North Africa: Lessons for an effective Arms Trade Treaty ». 10 % des exportations russes vont en Syrie ! Dans ce rapport, on apprend que les Etats-Unis, la Russie et plusieurs pays européens ont fourni de très nombreuses armes à des gouvernements répressifs au Moyen-Orient et en Afrique du Nord avant les soulèvements de cette année, tout en sachant qu'il existait un risque considérable que ces armes soient utilisées pour commettre de graves violations des droits humains. Le rapport détaillé s'est penché sur les transferts d'armes effectués vers Bahreïn, l'Egypte, la Libye, la Syrie et le Yémen depuis 2005. Les principaux fournisseurs d'armes des cinq pays cités sont l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, la Bulgarie, les Etats-Unis, la France, l'Italie, la République tchèque, le Royaume-Uni et la Russie, selon l'ONG. Cette dernière nous apprend également que le principal fournisseur d'armes de la Syrie est la Russie. Un marché qui représente environ 10 % des exportations d'armes de la Russie. Autres principaux fournisseurs, l'Inde qui a autorisé la livraison de véhicules blindés à la Syrie ces dernières années et la France qui lui a vendu plusieurs munitions entre 2005 et 2009. Pour plus de transparence En Egypte, ce sont les Etats-Unis qui occupent la première place du podium des fournisseurs privilégiés du président déchu, Hosni Moubarak. En effet, si au moins 20 Etats ont vendu et fourni des armes légères, des munitions, du gaz lacrymogène, des agents antiémeutes et d'autres équipements à l'Egypte, les Etats-Unis, eux, leur vendent chaque année près de 1,3 milliard de dollars d'armes. « Ce qu'il faut, c'est une évaluation au cas par cas de chaque transfert d'armes envisagé, de sorte que s'il existe un risque important que les armes en question soient utilisées pour commettre ou faciliter des violations graves des droits humains, le gouvernement concerné soit tenu de mettre le holà », propose Helen Hughes, spécialiste du commerce des armes ayant contribué au rapport d'Amnesty International. Cette règle d'or procédant d'une démarche préventive figure déjà dans le projet de traité sur le commerce des armes, au sujet duquel des négociations ont repris aux Nations unies en février. « Si les principaux exportateurs d'armes n'adoptent pas cette règle d'or et continuent à faire preuve d'imprudence en maintenant le statu quo, alimentant ainsi les crises des droits humains comme celles dont nous avons été témoins au Moyen-Orient et en Afrique du Nord cette année, des vies seront inutilement brisées et la sécurité mondiale sera compromise », prévient Hughes. Voilà ce qui est dit ! Une plainte déposée à Paris La publication de ce rapport coïncide avec la plainte qui a été déposée, mercredi dernier en France, par la Fédération internationale des ligues de droits de l'Homme (FIDH) et la Ligue des droits de l'Homme, pour « complicité et actes de torture » contre la société française Amesys. Elles accusent cette société, filiale du géant informatique Bull, d'avoir fourni à la Libye du colonel Kadhafi « un système de surveillance des communications ». Cette plainte s'inscrit dans le cadre de la lutte contre l'impunité des grandes entreprises qui ont mis leurs compétences au service des régimes autoritaires. Pour rappel, entre 2007 et 2009, le montant des prises de commandes de la Libye à la France s'élevait à 316,5 millions d'euros, révèle le journaliste Armelle Le Goff.