Cédant à l'appel de la Ville de Taroudant et de son association Art Point, la sculptrice Ikram Kabbaj a ressuscité le Symposium international de sculpture, après 11 ans d'interruption. Rencontre avec une artiste passionnée et une grande militante. A la fois volontaire et sensible, Ikram Kabbaj défend vigoureusement la dimension indissociable de ces deux concepts. Portée vers l'abstraction, elle se passionne pour la forme, le volume et l'espace, et travaille en pleine campagne, dans un hangar aux murs épais et « arrive toujours sur place en même temps que les troupeaux ». Cette sculptrice assidue, initiatrice de quatre symposiums internationaux de sculpture, qui ont siégé, il y a onze ans, dans quatre villes du Maroc, a jeté l'éponge en 2004, pour reprendre le flambeau de la 5e édition en 2011, récemment organisée à Taroudant. Avec la sincérité et le dévouement qu'on lui connaît. Onze ans après l'interruption des quatre premiers symposiums, quel effet cela vous fait-il de reprendre le flambeau ? Au-delà du volet technique, ce qu'on retient, c'est l'amour et la joie de voir les citoyens de la ville applaudir et aider les sculpteurs pendant leurs travaux. Ils ont été curieux, enthousiastes et coopératifs. C'est l'un des meilleurs symposiums, financièrement, techniquement et artistiquement. Auparavant, je faisais tout un montage financier, et je l'offrais à la ville, exceptionnellement à Taroudant, c'est la Ville qui a tout fait. La municipalité nous a donné les moyens techniques, et la province, en la personne du gouverneur, a réuni tous les gens de la ville pour le financement. Il faut dire que pour cette édition, le ministère de la Culture a claqué la porte et n'a répondu à aucune de mes sollicitations. Pourquoi avoir cessé brusquement d'organiser ces symposiums ? Je voulais me consacrer à mon travail de sculpteur. Après quatre symposiums consécutifs, le nom d'ikram Kabbaj a été associé à «symposium international de sculpture», et ça, c'est dangereux. Je ne voulais plus me soucier des histoires de financement. Ce n'est pas mon métier d'aller récolter des fonds. Je suis sculpteur et je préfère vivre de mon art. Au final, je veux bien faire des symposiums, à condition qu'ils soient financés par les Villes. Après cette longue rupture, pourquoi avez-vous accepté de collaborer avec l'homme d'affaires italien Gianpietro Moretti, président de l'association Art Point ? Quand monsieur Moretti a décidé d'organiser un projet sur la sculpture, il a trouvé mon nom sur Internet et m'a contactée. Ça m'a touché qu'un étranger, qui vit depuis à peine deux ans à Taroudant, veuille offrir quelque chose d'aussi significatif à la ville. J'ai accepté, et dès le premier rendez-vous avec la Ville, le courant est passé. Comment s'est opéré le choix des huit artistes, qui viennent de divers pays ? J'avais rencontré ces artistes lors des précédents symposiums auxquels j'avais été invitée, et, entre eux, ils se connaissent, à l'exception de quelques uns. J'invite toujours des amis aux symposiums, c'est amical, et cela a toujours été ainsi depuis la première édition à El-Jadida. Il est important de se connaître et d'être soudés, d'autant plus que nous sommes amenés à rester ensemble pendant 15 jours. Après Tanger, El-Jadida, Fès et Essaouira, vous n'avez réalisé aucun projet dans les grandes villes qui ont aussi grand besoin de sculptures ? Un symposium est une initiation à la culture avec de petits moyens, destiné à une petite ville. Et je ne vois pas pourquoi je ferais ça dans de grandes villes qui ont des budgets énormes. Si on me propose demain de faire un symposium à Beni Mellal ou dans une autre petite localité, je le ferai ; je suis pour la décentralisation. Ce que nous faisons est modeste, nous laissons de petites empreintes. Pourquoi le Maroc n'est-il pas dans la liste des pays qui prônent la sculpture ? Contrairement à l'Egypte, à la Syrie et au Liban, où la sculpture ne fait pas partie du paysage culturel, notre tradition est plutôt la zakhrafa et le naqch [sculpture en mosaïque, ndlr] sur bois et sur plâtre. Au Maghreb, nous avons l'art du bas-relief, mais nous ne prônons pas la sculpture en ronde bosse. Dans notre culture arabe, les belles choses se font à l'intérieur, alors que l'art doit être partagé. Nous avons une richesse incroyable en matière de marbre, ici. D'ailleurs, le Maroc est exportateur de marbre, surtout en direction de la Chine.Le problème est culturel, tout simplement. Sculptures vandalisées à Fès Il est un fait insolite à signaler : un acte de vandalisme d'envergure à Fès, lié à la 3e édition du Symposium international organisé dans la ville en 2002. Quelques années après la tenue du symposium, Ikram Kabbaj reçoit une nouvelle des plus foudroyantes. Outrée et scandalisée, elle apprend que les œuvres qui ornaient l'avenue Hassan-II de Fès, celles-là mêmes qui devaient contribuer au rayonnement de la ville, ont été déplacées et même détruites par la mairie de la ville. Le président de la Commune, Abdelhamid Chabat, élu en 2003, avait ordonné le déplacement de ces sculptures, dans le cadre de travaux de rénovation de la voie, omettant de demander l'autorisation, ou même de ménager ces œuvres appartenant au domaine public marocain, sous prétexte que « les autorités ne savaient pas à qui s'adresser pour les déplacer ». Un triste épisode, qui en dit long sur les problématiques culturelles au Maroc.