Après la tentative d'attaque de Nessma TV par des salafistes dimanche en Tunisie, et les violences envers les coptes en Egypte, le débat sur liberté et religion semble plus que jamais sensible dans les pays touchés par le Printemps arabe. Le printemps arabe a libéré la parole. Fini le temps de la censure et du parti unique en Tunisie. Le contexte politique se reconfigure, et les islamistes semblent l'avoir bien compris. Enhardis par la libération de parole ambiante, leurs mouvements s'affirment sur la scène politique. « La situation est devenue plus fluide en Tunisie comme en Egypte. Il est possible pour les mouvements islamistes d'exprimer un certain type d'idées, autrefois impossibles dans des systèmes autoritaires qui imposaient le silence », constate Jean-Noël Ferrié, directeur de recherche au CNRS associé au Centre Jacques Bercque de Rabat. Et visiblement, leurs idées font mouche puisqu'en Tunisie, le mouvement islamiste Ennahda est donné grand favori pour les élections du 23 octobre prochain. De même en Egypte, les Frères musulmans voient leur cote de popularité grimper. « Cela peut clairement se traduire par des victoires politiques. En Egypte; les Frères musulmans vont avoir une bonne place au Parlement égyptien. Ils auront une telle influence que d'autres députés vont se joindre à eux et s'aligner. Quant aux libéraux authentiques, cela créera une situation de clivage », analyse pour Le Soir échos Jean-Noël Ferrié. Dimanche, quelque 300 salafistes ont tenté d'attaquer la chaîne privée Nessma TV, suite à la diffusion du film franco-iranien Persepolis, de la réalisatrice Marjane Satrapi.« A bas Nessma! nous sommes là pour défendre l'Islam », ont scandé les protestataires, devant les locaux de la chaîne, avant d'être dispersés par la police. Le film d'animation, qui décrit le régime iranien de Khomeiny à travers le cheminement d'une jeune fille, a provoqué sur internet de violents appels à tuer les journalistes de Nessma et à incendier ses locaux. « Nous sommes habitués aux menaces mais ce qui est grave, c'est que cette fois-ci ,ils sont passés aux actes. Nessma est la chaîne moderniste du Maghreb, on ne se laissera pas intimider », a déclaré le président de la chaîne, Nabil Karoui. A l'origine de la colère des salafistes, une scène du film représentant Dieu en vieux monsieur barbu dans un rêve de l'héroïne. Le parti Ennahda, qui s'est démarqué des salafistes lors de l'attaque d'un cinéma à Tunis en juillet dernier, a condamné ces actes, estimant qu'il s'agissait « d'actes isolés ». Pas si isolés que cela, ces actes reflètent une exacerbation du débat sur la liberté et la religion. « C'est une période de redistribution des cartes. Certaines personnes ont envie d'en profiter pour revoir la place de la morale dans la société, ou encore de la minorité copte en Egypte », estime Jean-Noël Ferrié. En conséquence, la tension monte, comme en Tunisie entre islamistes et laïcs, à quelques jours des élections de l'assemblée constituante. Les affrontements de dimanche « sont un très mauvais signe avant la tenue d'élections démocratiques » a déclaré à Reuters l'analyste Salah Attya, avant de poursuivre « Le climat n'est pas bon. Il y a certains partis ou courants qui font tout pour que la situation explose avant l'élection ». Les violences, comme celles envers la communauté copte égyptienne, ont atteint un nouveau degré ce week-end, et le clivage entre islamistes/libéraux semble prendre une tournure de plus en plus brutale. « Le Printemps arabe a masqué ou nous a fait oublier qu'il avait une logique de fond de ré-islamisation. Le mouvement de révolte contre les dirigeants autoritaires ne l'a pas fait partir », conclut Jean-Noël Ferrié.