L'audition des présumés auteurs de l'attentat d'Argana a pris fin jeudi 30 septembre. L'un après l'autre, ils ont nié en bloc toute implication dans l'attentat et rejeté le contenu des PV qu'ils auraient signés, selon eux, sous la pression. A la question «Connaissez-vous Adil El Othmani ? », ils ont tous répondu « non », sinon d'une manière « superficielle » justifiée soit par des relations de voisinage soit par des liens professionnels stricts. Si Adil El Othmani, cerveau présumé de l'attentat du Café Argana, a créé le 18 août la surprise en revenant sur ses aveux, les huit autres individus poursuivis dans l'affaire ont, pour leur part, campé sur leur position : nier toute implication de près ou de loin avec l'attentat. Auditionnés l'un après l'autre, Brahim Chergaoui, Mohamed Réda, Abdessamad Bettar, Abdelfattah Dahhaj, Azzeddine Lechdari, Ouadie Skiraiba, Hakim Dah et Mohamed Najim ont rejeté tout lien criminel avec El Othmani. Ils ont affirmé ne jamais avoir comploté avec lui pour commettre l'attentat ni même eu connaissance de ce projet. Tous ont également démenti leurs déclarations contenues dans les procès verbaux qu'ils ont signés suite à leur arrestation, prétendant avoir été contraints de le faire sous la torture et les menaces. Taieb Cherkaoui a reçu, vendredi à Rabat, les familles des victimes marocaines et françaises de l'attentat d'Argana. L'ambassadeur de France au Maroc, Bruno Joubert, a tenu à l'occasion à montrer sa reconnaissance aux autorités marocaines « pour la sollicitude, l'humanité et la générosité dont elles font preuve à l'égard des familles des victimes françaises et marocaines touchées par cet attentat dramatique ». « Il n'y a pas de contestation contre le Maroc, ni de regrets. Toutes les familles sont sensibles à la chaleur de l'accueil et à la générosité marocaine quelle que soit la tragédie qu'elles ont vécue », a-t-il déclaré. Pour l'ambassadeur, une grande solidarité s'est nouée entre les familles des victimes françaises et marocaines esquissant « la plus belle image des relations liant la France et le Maroc ». Les familles des victimes, elles, ont émis le souhait que justice soit faite et que les coupables soient châtiés. L'un des prévenus, Abdessamad Bettar, n'a d'ailleurs pas hésité à relever son pull, au cours de l'audience, pour montrer les séquelles de la torture sur son dos. Ce qui a tout de suite suscité des cris de honte et d'indignation au sein de l'assistance composée en grande majorité des membres des familles des présumés coupables. Mais, au fil de l'audition, allait surgir un point commun qui semble avoir amené, du moins certains d'entre eux, à faire connaissance avec El Othmani : leurs périples en Libye, en Algérie, en Mauritanie, en Turquie et au Mali. Effectués, plusieurs années auparavant, ces périples n'auraient été, d'après les prévenus, que tentatives de passer les frontières en s'embarquant dans des voyages clandestins à la recherche de jours meilleurs. Ce sont aussi des raisons professionnelles qui auraient été à l'origine de ces voyages. Hakim Dah et Abdessamad Bettar indiquent avoir servi d'accompagnateurs à trois touristes français au Mali. «Nous sommes également allés à Nouakchott pour nous approvisionner en téléphones portables dans un centre commercial très connu. J'avais sur moi un budget de 6 000 DH alloué à ces achats », raconte Abdessamad Bettar. Aucun n'a reconnu avoir effectué ces voyages pour participer aux camps d'entraînement d'Al-Qaïda afin de regagner l'Irak, comme l'indiquent les procès verbaux. C'est le récit de Mohamed Najim, le seul prévenu poursuivi en état de liberté provisoire, qui a tenu en haleine toute la Cour. « Je connais Adil El Othmani et Ouadie Skiraiba, mais ma relation avec les autres est très superficielle. On a débattu de questions liées au jihad lorsqu'on était en Libye », reconnait-il. Plus que cela, ce prévenu a avoué qu'El Othmani lui a offert un CD sur le jihad et qu'ils ont effectué un voyage en Turquie, mais séparément. « Nous avons embarqué sur deux vols différents parce que nous ne voulions pas être repérés à cause de nos antécédents de clandestins notamment en Espagne et en Belgique. Nous nous sommes retrouvés par la suite à Istanbul où nous sommes allés dans un hôtel », ajoute-t-il. C'est à ce stade que leurs routes se sont séparées, d'après Najim qui précise que son partenaire s'est dirigé vers la Tchétchénie pour participer au jihad, alors que lui est allé vers la Grèce. « Au moment de l'attentat, j'étais chez ma tante, à Safi. Je ne pouvais pas imaginer que Adil en serait l'instigateur », soutient-il. Ce qui corrobore les aveux d'El Othmani, au lendemain des attentats, exprimant ouvertement son allégeance pour Al-Qaïda, alors qu'Aqmi avait toute responsabilité dans cet attentat. A la fin de l'audition à laquelle ont participé les avocats des familles françaises, la Cour a fixé la date du 6 octobre pour écouter les plaidoiries de toutes les parties à partir de 14h. « Nous nous attendons à ce que la Cour tranche dans cette affaire après les plaidoiries, le même jour. Tous les prévenus ont nié les faits qui leurs sont reprochés. Mais Adil El Othmani risque la peine de mort », déclare au Soir échos Me Mohamed Sadkou qui représente qui défend quatre des prévenus. Et de préciser qu'aucune preuve tangible ne construit un « lien direct » entre les prévenus et l'attentat : « Toutes les pièces saisies se limitent à des ordinateurs et à des CD sur l'enfer des Russes qu'ont pourrait trouver sur le marché ». C'est le récit de Mohamed Najim, le seul prévenu poursuivi en état de liberté provisoire, qui a tenu en haleine toute la Cour. Les familles des prévenus, comme il est devenu de coutume désormais, ont observé un sit-in à la sortie du tribunal clamant l'innocence des leurs. «Ils sont barbus et font leurs prières, mais ils ne sont pas intégristes. Mise à part leur apparence islamiste, ils n'ont aucun lien avec les milieux extrémistes ou Al-Qaïda », martèle le porte-parole de cinq familles d'accusés, Hassan Bettar, le frère de Abdessamad. Face à ces familles en sit-in, les larmes de ceux qui ont perdu dans cet acte terroriste une fille, un fils, une femme ou un mari… Françaises et marocaines, les familles des victimes ont marqué une présence exceptionnelle au cours du procès. Le 28 avril, cet acte criminel a ôté la vie à 17 personnes, dont huit français, venus simplement prendre du bon temps sur la terrasse du café Argana. « Nous n'avons aucun doute sur la culpabilité des deux principaux accusés : Adil El Othmani et Hakim Dah. Nous avons examiné le dossier et les preuves matérielles pour aboutir à ce constat. Quant au reste des accusés, c'est à la Cour d'établir s'ils étaient au courant ou non du projet criminel », déclare au Soir échos Guillaume Denoix de Saint Marc, porte-parole des victimes françaises et directeur général de l'Association française des victimes du terrorisme (AFVT) dont une antenne marocaine verra le jour incessamment.