Quatre ONG de l'Oriental ont décidé de porter l'affaire de la Moulouya devant la justice. Ce jeudi, une plainte sera déposée au tribunal de première instance de Nador. L'affaire de la Moulouya n'est pas finie. Deux mois après la découverte, le 15 juillet dernier, de milliers de poissons morts dans le fleuve, les ONG de l'Oriental sont bien déterminées à faire toute la lumière sur l'origine de cette catastrophe écologique. Suite à la forte mobilisation de la société civile, des commissions d'enquête se sont penchées sur la question et ont rendu leurs conclusions, mais les ONG ne s'estiment pas satisfaites des résultats. « Le responsable doit être désigné. Les institutions n'ont pas assumé leur rôle. Tout a été fait pour camoufler la vérité », estime Mohamed Benata de l'Espace de solidarité et de coopération d'Oujda. Pour les ONG, plusieurs indices semblent montrer que l'usine Sucrafor serait responsable de la pollution (voir encadré). Bien décidés à ne pas baisser les bras, les associations Homme et Environnement de Berkane, Chems de Ahfir, l'Espace de solidarité et de coopération d'Oujda et Moubadra de Zaïo ont décidé de porter l'affaire en justice. La plainte doit être déposée ce jeudi 29 septembre au tribunal de première instance de Nador par l'avocat mandaté par les ONG, Me Lamrani. « Nous demandons à la Sucrafor de ne plus rejeter ses eaux usées dans l'oued sans les avoir préalablement traitées. Nous exigeons que les associations soient présentes la prochaine fois, lors du traitement des eaux, et qu'un expert soit désigné pour vérifier le bon traitement des déchets », nous explique Me Lamrani. Les ONG espèrent ainsi ne plus voir la catastrophe se répéter. L'avocat se déclare confiant sur cette affaire, tout en reconnaissant que la procédure risque d'être longue. « Non seulement l'usine Sucrafor est concernée par la plainte, mais elle n'est pas la seule. Les Eaux et forêts, les communes et les autorités locales devront également répondre devant la justice », précise l'avocat. Pour les ONG, la plainte s'est imposée comme une évidence. « C'est notre rôle en tant que société civile. Nous voulons montrer aux décideurs politiques qu'il existe une société civile qui s'intéresse à l'environnement et qu'il faut le prendre en compte dans les décisions », explique au Soir-échos Najib Bachiri, de l'association Homme et Environnement. Se tourner vers la justice est aujourd'hui un test pour les associations environnementales qui espèrent ainsi voir l'effectivité des nouvelles lois et de la nouvelle Constitution en matière de droit à l'environnement. « Cette plainte est un test pour le Maroc. Nous attendons de voir s'il existe bel et bien des droits qui nous protègent, ou si ces droits ne sont évoqués que pour faire bonne figure à l'extérieur du Maroc et protéger les intérêts des riches », déclare Mohamed Benata, de l'Espace de solidarité et de coopération. Autant dire que la plainte sera suivie de près par tous ceux qui espèrent voir le droit à l'environnement devenir réalité dans le royaume. Mohamed Benata nous liste les arguments recueillis pour étayer l'hypothèse d'une responsabilité de l'usine Sucrafor. Tout d'abord, les ONG ont recueilli le témoignage des riverains de l'oued. Ceux-ci ont affirmé avoir perdu du cheptel et subi des dégâts agricoles, en plus de mauvaises odeurs provenant de l'usine. Puis, il y a le témoignage accablant d'un ancien employé de la Sucrafor, qui affirme que l'unité industrielle n'a pas utilisé cette année les bassins de rétention pour traiter les rejets liquides et, particulièrement, les rejets de produits chimiques. Les rejets auraient été directement rejetés dans la Moulouya sans traitement préalable. L'ancien employé détaille également les produits toxiques utilisés dans l'usine : formol, soude et acide. Ce témoignage a notamment été filmé puis diffusé sur youtube avant d'être retiré suite à des pressions sur l'employé en question. Contacté par le Soir échos, le directeur de l'usine Sucrafor, Nahid Salah s'insurge dès qu'on évoque le recours à la justice des ONG. «Depuis l'annonce de la mort des poissons, notre établissement fait l'object de propos calomnieux visant à nous faire endosser l'incident », s'exclame-t-il, tenant à rappeler le poids de Sucrafor dans la production nationale de sucre et la dimension « citoyenne » de l'entreprise. Quant aux produits toxiques cités par les ONG, Nahid Salah nous répond habilement : « Nous utilisons le procédé de fabrication le plus moderne. Nous n'avons pas de produits nocifs ». Pas de non franc donc. Quant à la vidéo sur Youtube, Nahid Salah soutient qu'il s'agit d'un « saisonnier immigré », ce qui, selon lui, entamerait la crédibilité du témoignage.