Mois où la religiosité atteint son paroxysme le jour, ramadan est aussi la saison où tout est permis le soir, sauf l'alcool. Un petit tour sur la corniche de Casablanca nous en dit long sur des pratiques que la morale religieuse réprouve, mais que la société tolère. Il est 3 h45. Après une première moitié plutôt agitée, la ville retrouve son calme. Karim est le seul de sa famille à rester éveillé jusqu'à cette heure. Jeune étudiant en dernière année dans une école d'ingénieurs, cela fait plus de 4 heures qu'il est devant son ordinateur. Drague en-ligne, échanges tout sauf «moralement» correctes et discussions en tout genre ponctuent ses veillées «ramadanesques» jusqu'à tôt le matin. Plus précisément, jusqu'à l'appel à la prière. Un appel par ailleurs de la fin des «futilités» puisque dès le premier « Allah Akbar », c'est la volte-face. «Dès que j'entends al adane (l'appel à la prière) du sobh, je quitte illico mon ordinateur et je me précipite vers le lavabo pour faire mes ablutions et aller à la mosquée, j'aime me faufiler dans la mosquée alors qu'il fait encore noir un peu, j'ai l'impression de renaître », nous confie Karim, métamorphosé. Le jeune homme passe sa journée dans l'ombre fraîche de sa chambre, entre jeux vidéo et discussions (sérieuses) en ligne, quand il n'est pas à la mosquée du quartier, destination saisonnière préférée de bien des Marocains pendant le mois sacré. Mais à la nuit tombée, les plans café-chicha, les sorties avec les filles, les joints de haschich et bien d'autres pratiques prennent le relais. Qu'est ce qui explique une telle dualité ? Pour le sociologue Abderahim Atri, le phénomène est tout à fait normal : « Le ramadan est connu pour être le mois des paradoxes. Nous avons d'un côté ce besoin collectif, communautaire de se rapprocher de sa foi et de Dieu. Le Marocain a besoin d'appartenir à une entité. De l'autre, nous avons aussi ce besoin de se défouler, de profiter de sa soirée après une journée d'abstinence. Et nombre de Marocains essayent de répondre à ces deux besoins, souvent contradictoires, à la fois ». Et pour garder un semblant de cohérence, on se rabat sur les cafés chicha au lieu de se jeter sur des bouteilles de bière, les bars se «halalisent». Mais cet « effort » se limite aux seuls alcools. Danse du ventre, musiques aussi bruyantes qu'aux paroles obscènes (et c'est rien de le dire), prostitution. Le tout dans des ambiances, comme celle de la corniche d'Aïn-Diab à Casablanca qui devient dominée par d'énormes nuages de fumée de joints. «Je viens de terminer le forfait obligatoire en terme de Tarawih, maintenant je suis libre, tout est permis, faisons la fête», s'enthousiasme Karim, le soir même de ce jour où il courait presque à la mosquée pour ne rien manquer au recueillement et grande sérénité de la prière du sobh. «La société marocaine est au carrefour de plusieurs contextes et de différentes cultures. Difficile alors d'avoir des convictions ou des positions tranchées et souvent, on veut la chose et son contraire», nous dit le sociologue. D'un côté purement religieux, Abdelbari Zemzemi fait la part des choses sans pour autant se scandaliser.«Certains ne prennent pas la religion au sérieux. Ils la pratiquent comme bon leur semble. Que ce soit après le ftour ou la fin du ramadan, ils reprennent leurs vices de plus belle. Mais ça ne me choque pas. Cela arrive partout. Même à Médine, les gens sortent de la prière des Tarawihs pour s'adonner à l'adultère par exemple », remarque-t-il. Pour cet imam, le problème est celui de l'éducation que nous recevons et des valeurs contradictoires que nous inculquons à nos enfants. Vaste chantier.