Faouzi Bensaidi, un des vétérans de la pellicule locale, revient sur le devant de la scène avec son troisième long métrage Mort à vendre. Un film noir dont la particularité relève du paradoxe, celle d'être à la fois une continuité et une genèse. Nous avons rencontré ce sculpteur d'images et tenté de sonder ses nouvelles pérégrinations, qui l'ont récemment guidé vers le genremorbide. Habité par la passion et l'intensité du cinéaste perplexe devant sa propre œuvre, Faouzi Bensaidi nous a pourtant révélé un tempérament ouvert et bon enfant, d'un naturel désarmant. Il nous a fait part de son envie de faire «vivre» son nouvel opus dans les festivals, avant sa sortie en salles en automne. Le premier pari est lancé, le film étant prévu au 36e festival international du film de Toronto, le 8 septembre. Parlez-nous de ce nouveau film que vous qualifiez de film noir… C'est un film de personnages et d'atmosphère, qui prend le schéma des films noirs, comme l'Amérique les a inventés et comme l'Europe les a adaptés et adoptés, et comme nous, arabes, commençons à le faire. J'y injecte mon univers et je creuse dans mes sources d'inspiration, les gens, le comportement et l'humain. Qu'en est-il de l'intrigue de cette lente descente aux enfers ? Mort à vendre démarre comme une chronique sociale dans une ambiance légère entre trois jeunes amis vivant dans le nord du Maroc. Cependant, ce trio de petits voleurs vit une réalité fade et souffre des perspectives d'un destin banal. Nourris de rêves de pouvoir et d'argent et surtout d'existence, le trio se plonge dans le banditisme et l'amitié vire vite à la tragédie. Y jouez-vous, comme à l'accoutumée, ainsi que votre femme Nezha Rahil ? Oui, je joue un rôle secondaire, et ma femme tient aussi un petit rôle. Vos films sont toujours des co-productions locales et étrangères. Mort à Vendre est une coproduction maroco-franco-belge… Oui, le film est subventionné par le Centre cinématographique marocain à hauteur de 5 millions de dirhams, ainsi que des producteurs locaux et étrangers. Mais cette fois-ci, la télévision n'a pas voulu du film, contrairement aux fois précédentes, et je trouve assez étonnant qu'ils ne nous aient pas suivis, ou répondu à nos propositions. S'il y a une chose qu'on n'a jamais assez sur un film, c'est le temps et l'argent (sourire). Où le situez-vous par rapport à vos deux autres films : Mille mois et What a wonderful world' ? Je crois que ce film condense mes deux précédents longs métrages, il cumule la folie et la liberté de What a Wonderful World et la gravité et le background politico-social de Mille mois – c'est une sorte de synthèse des deux – et constitue une continuité tout en creusant une nouvelle voie. Il est d'apparence classique et linéaire doté d'une histoire construite mais se pervertit vite et se dilue dans une réalité sombre. ‘Mort a vendre'' reflète mon univers tout en étant plus accessible au public, contrairement à WWW qui était certainement le plus graphiquement poussé, dans un délire personnel. Comment sort-on de vos films ? Qu'avez-vous envie de déclencher ? (Pause). Je veux bouleverser, émouvoir et, surtout, partager un regard sur le monde et sur le cinéma. Mes films racontent mes ras-le-bol, mes coups de gueule, mes colères, et j'aime bien me cacher derrière eux. La force et le danger du cinéma, c'est qu'il est un médium qui montre tout, et ceci fausse la donne. C'est facile et gratuit de montrer tout, mais comment vraiment pointer les choses et faire en sorte qu'elles restent dans les esprits ? Voilà la question. Un cinéaste est témoin de son temps, mais il faut espérer que ce qu'il fait reste intemporel, et ce n'est pas gagné. Votre deuxième film What a Wonderful World est un film de genre, plus conceptuel que Mille mois. Comment le public a-t-il perçu vos deux précédentes œuvres ? Mille mois a eu plus d'audience vu qu'il est plus grand public que WWW. Ce dernier est arrivé un peu avant son temps. S'il était sorti plus tard, il aurait été mieux accueilli. Les gens se sont peut-être dit, à l'époque, qu'il était un peu trop intello. Et chose étrange par rapport à ce film, il a eu deux vies. Au début, quand il est sorti dans les salles, il a été énormément médiatisé mais les gens sont passés à côté. Ce n'est qu'un an plus tard, avec la sortie des dvd piratés, qu'il a eu son lot de reconnaissance. Nous savons que le cinéma marocain est très subventionné. Où en est la qualité par rapport à ce constat ? Il faut reconnaître que pendant dix ans le Maroc a produit de bons téléfilms, dont 10% de cinéma avec un grand C. Les œuvres cinématographiques bien pensées sont rares, mais la nouvelle génération est aujourd'hui dans cette préoccupation. Nous sommes quand même bien subventionnés par rapport au monde arabe, et nous n'avons pas beaucoup à nous plaindre. Nous sommes loin de l'époque où l'on bataillait pour obtenir ce que l'on voulait. Aujourd'hui, la balle est dans le camp des cinéastes, il faut bosser. Même avec beaucoup de talent, le cinéma ne marche pas si on ne se donne pas complètement. Orson Wells a dit : «Le talent c'est 10 % et les 90 %, c'est du travail».