Ecrivain prolifique et inclassable, parvenu à s'imposer dans le sérail littéraire parisien depuis son premier roman, « La Voyeuse interdite », prix du Livre inter, Nina Bouraoui signe «Sauvage» voyage trouble au cœur d'Alger. Découvrir le nouveau roman d'un auteur, c'est retrouver son univers, renouer avec sa langue, approcher un peu plus ses obsessions, ses joies, son interprétation du monde. La rencontre avec un livre ou son auteur est finalement un moment de vie fort. Jusqu'où peut se tisser le lien entre le lecteur et l'auteur d'une œuvre ? Si Nina Bouraoui posait la question à travers son onzième roman, « Appelez-moi par mon prénom », on y entendait notamment en filigrane : « L'écriture dévoile-t-elle un auteur ? Révèle-t-elle ce qui touche à l'intime ?» «Appelez-moi par mon prénom », évoquait les jeux de l'amour et de la passion autour de la rencontre d' une femme écrivaine avec un jeune homme de seize ans son aîné. Si Nina Bouraoui, y réunissait en filigrane, les voix de sa famille d'écrivains, Guibert, Ernaux, Leduc, l'écho des amours du couple littéraire que formait Marguerite Duras et Yann André, se profilait au fil de cette valse amoureuse, inscrite dans le monde actuel à coup de sms et d'e-mail. Elle posait de plus, la question de la relation entre le lecteur et son auteur. Aujourd'hui, l'écrivaine prolifique, l'enfant de l'Algérie où elle vit jusqu'à l'âge de quatorze ans et de la France, signe « Sauvage » (Stock), treizième roman, nouvelle pierre angulaire à l'édifice qu'elle construit à coups de livres signant définitivement son singulier talent. L'opus se situe en Algérie en 1979. L'auteur nous plonge dans l'environnement d'Alya, adolescente qui vit entourée de sa famille dans un immeuble de la capitale. On devine le lieu et les énergies sous le regard de la jeune fille. Un autre personnage inconnu, attendu, constamment évoqué plane dans le quotidien d'Alya : l'année 1980. On appréhende cette nouvelle année qui va clore le chapitre d'une décennie. « Tout le monde dit que quelque chose va arriver, va changer, que la technologie va dépasser les humains (…) Alya vit une perte, celle de Sami, un jeune garçon, qui a disparu. « Un amour choisi », les liait l'un à l'autre. Etrange fait traversant cette œuvre, on pense immanquablement à la décennie qui a suivi, celle des années 90, celle des années noires où des milliers d'Algériens ont disparu…» L'écriture est toujours organique, sensuelle, du côté de la vie. On devine les souvenirs algériens de Nina, qui a également grandi dans un immeuble algérois, qu'elle n'a plus retrouvé depuis son départ à Paris, « de peur de fermer son enfance ». Alya vit dans son imaginarium, ouaté de rêve depuis la disparition de Samy, qui a bouleversé la face de son monde. Sa seule compagnie sont les mots. Les mots amis car « les mots, ça reste quand nos idées s'envolent déjà ». L'évocation des titres de chansons des seventies de Claude François et Sheila, nous renvoient à certaines séquences des films de François Ozon… On sait le goût de l'auteur pour certains films d'atmosphère de Sautet ou de Lynch, qu'elle prend plaisir à dépeindre dans ses romans. Et sa phrase au sujet des romans : « Les lives devraient pouvoir s'écouter comme une musique ». Inclassable, à mi-chemin entre l'anticipation et le présent, ce récit oscille constamment entre la peur de l'avenir inscrite dans une forme de mélancolie, fuyante, dans la fureur du monde. Déjà, son neuvième roman, « Mes mauvaises pensées », récompensé par le prestigieux prix Renaudot 2005, révélait son style tachycardique, sensuel, obsessionnel, où elle dit surtout pour la première fois son amour intarissable de l'Algérie. Confession troublante, inattendue qui lui vaut la consécration du grand public. N'y écrivait-elle pas, « mes livres sont des paravents ». Sa seule terre n'est-elle pas l'écriture, « raoui » signifiant en arabe « celui qui raconte » ? A cette nouvelle histoire, sûr ? Réaliste ? Répondent peut-être les mots d'André Breton, « il faut laisser les livres ouverts, battants comme des portes ».