Depuis le début de l'année 2011, le marché mondial des matières premières tangue au gré des prix du pétrole et des produits alimentaires. En l'espace de quelques mois, on est passé d'une relative euphorie à une forte inquiétude. Il se passe quelque chose dans le monde des matières premières. Depuis le début de 2011, industrielles comme agricoles, toutes voyaient leur prix progresser rapidement dans le sillage d'un pétrole triomphant qui franchissait successivement aux Etats-Unis les 90, 100 et 110 dollars et de l'or qui bondissait de 1.350 à 1.550 dollars l'once. Une partie des experts applaudissait ces hausses, signe pour eux que l'économie mondiale était tirée enfin de la Grande récession où l'avaient plongée les bêtises financières des pays occidentaux. D'autres commençaient à s'alarmer de la forte poussée des prix des produits alimentaires de base dont certains progressaient par exemple en Chine de 30 à 50%, suscitant des manifestations de mécontentement populaire. Au tournant du mois d'avril et début mai, la hausse est cassée net. Les cours du coton dégringolent, tout comme ceux du cuivre ou du blé. Ceux du pétrole et de l'or cessent de grimper. En fait, les marchés sont agités de mouvements contradictoires au gré de grèves dans une mine chilienne, de sécheresses en Europe, de pluies dans les grandes plaines d'Amérique du Nord ou de mouvements erratiques du dollar : les investisseurs ne savent plus où investir. L'offre planétaire des produits de base aura du mal à répondre à temps aux besoins de la population mondiale d'ici 2050. Certains jours, les fonds vendent en masse leurs positions au gré des fluctuations d'institutions comme Goldman Sachs qui conseille en mai d'abandonner les matières premières, pour encourager en juin d'en racheter… Voici que la Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement (CNUCED) annonce, le 4 juin, un éclatement de la bulle spéculative, alors que le mastodonte du négoce Glencore parle de ralentissement des marchés, le 14 juin. On est passé en quelques mois d'une relative euphorie à une forte inquiétude, car les ordinateurs des prévisionnistes disent tous la même chose : les Etats-Unis et l'Europe sont englués dans des déficits énormes les obligeant à se serrer la ceinture ; la Chine veut freiner une inflation qui atteint 5,5% en rythme annuel et qui traduit une surchauffe dangereuse. Tous les pays ont le pied sur le frein pour une raison ou une autre; la demande mondiale est appelée à s'étioler. Ajoutons à cela que l'économiste en chef du Fonds monétaire international (FMI), Olivier Blanchard, a prévenu le 17 juin à Sao Paulo que la crise de la dette en Grèce, Irlande, Portugal et Espagne risquait de « faire dérailler la reprise en Europe et peut-être dans le monde ». Ces annonces successives ont fini par avoir un effet dépressif sur le moral et sur les projets des investisseurs qui voient les pays émergents, Chine en tête, moins gourmands en produits de base. On peut penser aussi que l'approche du G20 agricole, réuni à Paris le 22 et le 23 juin, a pesé. A la demande de Nicolas Sarkozy, il doit réfléchir aux moyens de domestiquer la spéculation qui se renforce notamment sur les produits agricoles et énergétiques. Barclays Capital a annoncé qu'à fin mars 2011, les fonds liés aux matières premières avaient atteint le montant de 410 milliards de dollars, soit le double du niveau de 2007, avant la crise. A Paris, on préparera donc une réelle transparence sur les transactions, la constitution de stocks alimentaires de sécurité et des limitations des prises de risques, autrement dit un code de bonne conduite destiné à limiter les fortes fluctuations des cours…qui font le bonheur et les profits des investisseurs. Il n'est pas étonnant que ceux-ci s'en émeuvent. Ce coup de froid a-t-il des chances de se transformer en hiver rigoureux, comme le craint le FMI ? Le consensus des experts est qu'il ne devrait pas excéder l'été. Selon eux, l'économie chinoise est trop vigoureuse pour s'étouffer et tomber en dessous de 8% de croissance. La vieille Europe est en train d'accélérer. Quant au Japon martyrisé par le séisme et le tsunami, il récupère ses capacités de production à une allure inattendue. Reste que la donnée fondamentale des matières premières est une rareté annoncée. On a trop peu investi dans les mines et les forages depuis vingt ans. On a délaissé l'agriculture depuis cinquante ans. L'offre planétaire de produits de base aura du mal à répondre à temps aux besoins d'une population mondiale qui passera de 6 à 9 milliards de personnes d'ici 2050. Il y a donc peu de chances pour que les prix baissent longtemps. Alain Faujas, Journaliste