Moha Ennaji, président du Centre Sud Nord pour le dialogue interculturel, nous explique les raisons pour lesquelles le Maroc doit officialiser la langue amazighe dans sa nouvelle Constitution. Pourquoi, à votre avis, la nouvelle Constitution devrait-elle reconnaître la langue amazighe comme langue officielle ? La langue amazighe est le véhicule d'une culture marocaine authentique, traditionnelle, trois fois millénaire. C'est une langue qui a tous ses attributs : son alphabet, sa grammaire et sa littérature. Elle possède une littérature orale extrêmement riche, un patrimoine de chants, légendes, poèmes, proverbes et contes qui ont besoin d'être rédigés et diffusés par le biais de l'enseignement et des médias. En plus de la poésie, du chant et de la danse, la culture amazighe est représentée par un art décoratif unique. Aujourd'hui, nous assistons à une véritable renaissance de la culture et de la langue amazighes. Un certain nombre de facteurs ont contribué à cette renaissance. Premièrement, la volonté royale d'officialiser la dimension amazighe. Deuxièmement, l'ouverture du Maroc sur l'Occident, à travers la démocratisation du pays et son engagement à protéger tous les droits humains, y compris les droits linguistiques et culturels. Troisièmement, il y a le travail louable des chercheurs et associations amazighs qui ont pu réactiver la revendication amazighe. Malgré ce renouveau de la culture amazighe, l'institutionnalisation de la langue amazighe tarde toujours. Le mouvement amazigh, un réseau associatif fort, a fait de cette lutte son cheval de bataille afin de revendiquer ses droits. La nouvelle Constitution doit reconnaître la langue amazighe comme langue officielle car la Constitution doit refléter le Maroc pluriel dans lequel plusieurs langues et cultures se côtoient. La culture amazighe est un patrimoine universel qu'il faudrait protéger. Constitutionnaliser cette langue, pour vous, est l'équivalent d'une protection aujourd'hui ? La protection légale de l'amazigh lui assurera son intégration dans l'enseignement, dans l'administration et les médias. Il y a quelques décennies, cette langue n'avait encore droit de cité dans le système éducatif du royaume, jusqu'à la création de l'Institut royal de la culture amazighe par le roi en 2001. Durant la rentrée scolaire 2003, le ministère de l'Education nationale a développé l'enseignement de l'amazigh dans 370 écoles. En 2009 l'amazigh était enseigné dans 2 000 écoles primaires. Selon les projections du ministère, ce n'est qu'à l'horizon 2013 que l'enseignement de l'amazigh sera généralisé. La reconnaissance officielle de l'amazigh consolidera l'unité nationale et sera un garde-fou contre tous les extrémismes et les interventions étrangères, et contribuera à une meilleure communication entre toutes les couches de la société marocaine, qui a été, à travers les siècles, une société soudée et unie. La reconnaissance officielle de la langue amazighe permettra également à une grande partie de la population marocaine de jouir de ses droits, de s'intégrer dans le processus de développement socio-économique et culturel que connaît notre pays et d'y contribuer davantage. Il y a lieu de mentionner la situation dans les tribunaux, où le degré de discrimination des citoyens amazighs est très élevé. Plusieurs d'entre eux ont eu des problèmes judiciaires pour la simple raison qu'ils ne maîtrisaient pas l'arabe. La constitutionnalisation de la langue amazighe assurera ainsi une protection légale à ces citoyens. La reconnaissance officielle de l'amazigh est cruciale, puisqu'il est généralement admis qu'environ la moitié des Marocains sont amazighophones, faute de chiffre officiel. La lutte pour l'institutionnalisation de l'amazigh est intimement liée à la question de la citoyenneté dans son sens global. Nous sommes pour un Etat de droit, qui prendra en considération notre culture et notre identité dans toutes les politiques nationales. Mais si demain le Maroc parlait amazigh, ne pensez-vous pas qu'au moment où la mondialisation impose ses lois, cette langue poserait un réel problème d'ouverture sur les autres ? N'est-ce pas une ghettoïsation au nom de l'attachement culturel ? Dans son discours du 9 mars, le souverain a souligné «la pluralité de l'identité marocaine unie et riche de la diversité de ses affluents, et au cœur de laquelle figure l'amazighité, patrimoine commun de tous les Marocains». Depuis la création de l'IRCAM, en octobre 2001, la langue et la culture amazighes ont fait de grands pas en avant. Il y a au Maroc une interaction harmonieuse et une symbiose entre l'amazigh et l'arabe. S'exprimer en berbère n'implique pas une opposition à l'arabe et vice-versa. Pour nous, il n'y a pas de risque de ghettoïsation, car les Marocains sont très ouverts sur les langues étrangères. Et pour s'ouvrir davantage sur l'autre, il faut d'abord être fier de sa langue maternelle, de son patrimoine et de son identité. Ne pensez-vous pas que ne pas reconnaître l'amazigh officiellement serait une injustice envers les populations concernées ? Ne vous semble-t-il pas que cela fonderait une citoyenneté à deux vitesses? Sans parler des risques relatifs à sa disparition dans pareils cas. Aujourd'hui, des centaines de milliers d'amazighophones vivent dans les grandes villes et les régions réputées arabophones. Leur donner le droit à l'apprentissage de leur langue équivaut à leur ôter leur citoyenneté et les pousser soit à l'assimilation linguistique, soit à une ghettoïsation par l'isolement et l'endogamie, terreaux de toutes les ségrégations, discriminations et de différentes formes de violences. Aussi, la langue amazighe est-elle usitée sur tous les territoires d'Afrique du Nord. Elle pourrait en être le ciment dans la construction d'une véritable union du Maghreb. Nous pensons que pour continuer à barrer la route aux apprentis-sorciers qui poussent, chacun de son côté, à la destruction de notre identité, qu'il y a lieu plutôt d'enseigner l'arabe et l'amazigh à tous les enfants marocains. Car de quel droit allons-nous priver un enfant né d'un père amazighophone et d'une mère arabophone, ou l'inverse, de connaître et aimer les deux langues de ses parents ? Pensez-vous que les partis politiques sont assez sensibles à cette revendication ? Aujourd'hui, les partis politiques ont fini par reconnaître, certes sous la pression populaire, l'évidence du caractère national de l'amazigh. Les partis sont très sensibles au débat national sur l'amazighité et aux revendications du mouvement amazigh. Le projet de la reforme de la Constitution relance le débat sur la question amazighe. Le MP est le premier parti politique à revendiquer l'officialisation de l'amazigh dans la Constitution, comme langue officielle, à égalité avec l'arabe et le PPS et le RNI ont suivi l'exemple. L'USFP, en revanche, considère l'arabe et l'amazigh comme deux langues nationales, alors qu'il y a une grande différence entre le statut « national » et le satut « officiel ». De facto, la langue amazighe est déjà une langue nationale, puisqu'elle est parlée à l'échelle nationale, dans le monde rural comme dans les zones urbaines. Est linguiste et chercheur dans des axes variés allant de la linguistique, au genre, à la société civile aux problèmes de la migration. Il est directeur de la revue internationale Langues et Linguistique publiée au Maroc depuis 1998. Il dirige depuis 2005 le festival national de la culture amazighe à Fès. Moha Ennaji, qui est aussi président du Centre Sud-Nord pour le dialogue interculturel, et l'auteur de plusieurs articles et ouvrages sur l'identité culturelle, la langue et l'éducation, l'immigration et la société civile. Le PJD et le PI ont une position explicite en considérant que la langue amazighe peut être reconnue comme langue nationale. La position du PAM n'est pas encore claire, mais nous constatons que plusieurs de ses cadres sont favorables à une égalité amazighe-arabe. Il est à remarquer que les partis politiques marocains n'ont jamais revendiqué l'officialisation de l'amazigh dans la Constitution avant le 20 février et avant le discours royal du 9 mars. Tous les efforts de la reconnaissance de l'amazigh sont le résultat de la volonté royale de promouvoir la langue et la culture amazighes. Nous regrettons que les partis ne se penchent sur la question amazighe que de manière occasionnelle, notamment à l'approche d'élections ou d'autres moments importants de la vie politique. Selon plusieurs d'entre eux, pour que cette langue soit officielle, un travail de fond devra être fait sur le plan des aspects techniques, essentiellement pour sa diffusion, le développement des outils pédagogiques pour l'enseigner, la mise en place des systèmes informatiques, mais tout cela devra se faire dans la durée. Avez-vous déposé vos propositions auprès de la commission de révision de la Constitution? La communauté amazighe a préparé un document contenant des propositions concernant la réforme constitutionnelle de la langue amazighe, ainsi que la régionalisation, qui a été présenté à la commission. Les militants accentuent également la pression en formant des groupes chargés de contacter les partis politiques et les organisations non-gouvernementales. Nous espérons que la commission concernée prendra en compte les demandes légitimes du mouvement amazigh.