4 février 1958 : Fayçal II d'Irak et son cousin Hussein de Jordanie forment la Fédération Arabe d'Irak et de Jordanie. Réponse brusque et spectaculaire à l'ascendant irrésistible de Nasser sur les opinions publiques de la région ; réponse tardive et inutile, tout autant. Six mois plus tard, le 14 juillet 1958, la monarchie hachémite d'Irak était violemment emportée par un coup d'Etat. Pour beaucoup, l'entrée du Maroc et de la Jordanie dans le Conseil de Coopération des Etats Arabes du Golfe (CCG) rappelle ce précédent malheureux, et l'affaire est entendue. Riyad rassemble désespérément autour d'elle un club des ringards de l'histoire. Aujourd'hui, ils sont pris par le souffle qui, né à Tunis, a littéralement déchaîné toute la région depuis qu'il a démarré au Caire. Pourtant, que des Etats se liguent, mus par la peur et dans l'urgence, n'est pas une cause de faillite. Le CCG est né en 1981, pour faire face, dans la hâte et la précarité, à la double menace irakienne et iranienne. La mise de départ semblait faible : l'islam conservateur, le pétrole, les Américains. Qui aurait parié sur un échafaudage aussi bancal ? Et pourtant, là où la République Arabe Unie a tenu trois ans, la Fédération jordano-irakienne, six mois, l'Union du Maghreb Arabe, rien du tout, le CCG dure et persévère, élargit ses compétences, convainc ses propres sujets et séduit le monde. Autour de la graine de sable politique née de la grande peur de 1981, s'est formée une perle institutionnelle (relativement aux critères arabes) qui a maintenant trois décennies. Mais la dernière initiative saoudienne a une toute autre dimension que les avancées prudentes et pragmatiques du CCG. Il s'agit d'un acte politique pur, en réponse à l'événement exceptionnel, et réalisé dans le doute et l'aléa. On ne peut, dans l'état actuel, qu'émettre des hypothèses. Hypothèse minimale : l'Arabie saoudite absorbe la Jordanie, avec l'aval de cette dernière. La Syrie, qui tôt ou tard, changera de régime, redeviendra ce qu'elle a toujours été depuis Ramsès II, égyptienne. L'étoile du Caire monte, de nouveau, dans le firmament de l'Orient arabe, et les planètes alentours, l'une après l'autre pencheront vers son orbite : la Libye, le Yémen, La Syrie et le Soudan seront appelés, d'une manière ou d'une autre – réforme de la Ligue arabe ou création d'une structure ad hoc – à s'aligner sur Le Caire revigoré par la révolution et un soutien occidental désormais sans mauvaise conscience. L'Arabie saoudite cherche à prendre de vitesse ce mouvement et à couper la route de Damas devant le Caire. L'adhésion du Maroc ne serait qu'un leurre, pour brouiller les pistes et sauver l'honneur de la Jordanie. Plus ambiguë est l'hypothèse qui admet la consistance de l'entrée du Maroc. Riyad ne cherche pas à faire du CCG un cercle de réflexion monarchique. Rabat possède un atout dont le CCG aurait besoin, son poids démographique, et plus précisément, sa capacité à déployer une infanterie conséquente. Cette seconde hypothèse, qui inclut la première, pronostique des heures sombres pour le CCG et, surtout, pour l'Arabie saoudite. Elle se savait deux fois menacée: par l'Iran à l'extérieur, par le problème de la succession, à l'intérieur. Elle doit désormais faire avec une troisième occurrence: un Moyen-Orient réunifié autour du Caire et d'un nationalisme arabe d'un nouveau genre. Le CCG proposerait en quelque sorte au lointain Maroc d'être le gendarme de la bergerie monarchique, en cas de guérillas intérieures ou de litiges frontaliers alimentés en sous-main par l'Iran ou l'Egypte et ses alliés. Face à l'offre concrète de la réaliste Arabie saoudite, quels gains pour le Maroc? Au-delà des (maigres) avantages économiques, Rabat pourrait éventuellement y trouver son compte, si l'on interroge l'histoire longue. Le Maroc n'a jamais eu intérêt à l'émergence de capitales moyen-orientales hégémoniques, demain le Caire, comme hier Istanbul. Et il n'est pas absurde qu'il soutienne les irréductibles. Mais de là à entamer une adhésion qui entrave le devenir militaire et diplomatique du pays… Pour tenir, même les mariages de raison doivent avoir quelque semblant de cœur.