Si le discours du 9 mars autorise un accord sur les finalités démocratiques du processus dans ses premières étapes, l'agenda retenu est discutable dans ses présupposés et ses motivations premières, au point d'inoculer le doute sur ses motivations réelles. Je le crois sincèrement. L'aspiration des marocains à plus de dignité, de justice et de liberté n'a jamais été aussi forte et a besoin de s'incarner dans un mode de gouvernance, plus respectueux des règles élémentaires d'une démocratie. Mais simultanément, nous mesurons bien combien cet espoir est aujourd'hui fragile, exposé qu'il est à des risques de convulsions qui menacent de compromettre la construction démocratique dans son ensemble. C'est bien là le propre de toute logique de transition, dont le pilotage constitue un enjeu crucial. Comment va-t-on procéder ? Qui et comment ? Deviennent les questions essentielles à l'aune desquelles se mesurera la crédibilité du processus engagé. De ce point de vue, l'effervescence qui irradie la société marocaine acquiert une nouvelle dimension : à une défiance latente et passive entre les citoyens et leurs institutions qui marquait la période antérieure au 20 février, succèdent des formes publiques d'expressions protestataires mêlant espoir, exaspération et ressentiment. L'espace public est devenu le lieu d'une contestation permanente qui s'exprime dans la rue, mais aussi au sein des administrations et services publics. Y voisinent dans la confusion, des démocrates sincères, des professionnels de la contestation, des porteurs de revendications catégorielles et la mouvance obscurantiste. Cette situation ébranle tous les acteurs. L'Etat ne parvient plus à faire prévaloir l'autorité légitime dont il est dépositaire autrement que sur un mode autoritaire ! Son autorité est mise à l'épreuve quotidiennement dans la rue comme dans les services publics. Les organisations politiques et syndicales, initialement affaiblies par le climat de défiance, peinent à trouver la bonne posture et sont secouées de l'intérieur. Singulier paradoxe que celui qui conduit à observer un climat délétère, inédit dans ses formes d'expression, succéder au discours prometteur du 9 mars ! Tout se passe comme si nul ne parvenait à se placer dans la perspective d'un temps prometteur ! Nulle institution ne semble en mesure d'agréger ce mécontentement et d'offrir une perspective mobilisatrice par la voix de la persuasion, de l'adhésion …. ! Du coup, et en période de forte incertitude, le spectre d'un retour aux bonnes vielles méthodes répressives et rassurantes n'est jamais loin, et dit quelque chose de la fragilité du processus. Pour y échapper, il convient dans le contexte de défiance actuel, de veiller à ce que l'adhésion affichée aux finalités exprimées soit adossée à un mode opératoire. Le pilotage de la transition devenant un réducteur d'incertitude et un levier de crédibilisation des finalités affichées. Traduction. Partant du postulat communément admis que la démocratie est un processus à maturation lente, la finalité du processus annoncé de réformes vise à installer de manière tangible, déterminée et définitive le processus démocratique sur les rails. Comment ? En gravant dans le marbre de la Constitution des principes, des règles et des garanties qui en favorisent la mise en œuvre. A charge pour les acteurs de donner la mesure de leur capacité à faire vivre politiquement ce cadre institutionnel rénové. Reste que nous savons que l'énoncé des finalités n'équivaut pas forcément à un acte de foi. En tout cas, il ne suffit pas à lever le doute sur le bénéfice accordé aux acteurs qui ont applaudi le discours royal. Autrement dit, outre le texte constitutionnel qui sera soumis à référendum, ce qui importe, c'est la méthode de concertation et l'agenda qui l'accompagne. De ce point de vue, Il me semble que si le discours du 9 mars autorise un accord sur les finalités démocratiques du processus dans ses premières étapes, l'agenda retenu est discutable dans ses présupposés et ses motivations premières, au point d'inoculer le doute sur ses motivations réelles. Rappel des faits. On « informe » les membres de la commission de « suivi » sur les réformes constitutionnelles, qui se réunit pour la deuxième fois, de l'agenda du référendum et des élections, après avoir présenté des éléments d'appréciation de la situation politique. La lecture est en résumé la suivante : le processus de réformes engagées est menacé et doit être protégé. Il y aurait au Maroc, deux camps porteurs de deux projets : le camp des démocrates et celui des extrémistes radicaux qui manipulent les mouvements de contestation et constituent la vraie menace. Cette situation exigerait une accélération de la cadence des réformes : le gouvernement actuel superviserait, le référendum de début juillet et les élections anticipées de début octobre. La chambre des conseillers quant à elle ne serait renouvelée qu'en 2012. Cette lecture binaire dans sa nuance, adossée dans une même séquence à cet agenda, ne manque pas de surprendre, tant dans ses présupposés péremptoires que dans ses motivations. On présuppose d'abord que le référendum est déjà joué ! Que tous les « démocrates » évidemment majoritaires, vont voter « oui » comme un seul homme, et vont activement participer aux élections prochaines ! Et là encore, on ne doute de rien, ou plus vraisemblablement, on prend le risque du doute ! Ensuite, on s'autoproclame porteur du référentiel démocratique quand les Marocains attendent précisément que l'Etat en fasse la démonstration par des actes. Car nul n'ignore que si les adeptes d'un référentiel radical sont aisément repérables, les imposteurs de la démocratie sont trop nombreux et trop influents au sein de l'Etat, comme des partis, pour nous dispenser d'une lecture plus nuancée ! La démocratie est une œuvre collective et ne se construit pas de manière unilatérale par « l'information ». S'agissant des motivations qui fondent l'approche et l'agenda. On relèvera qu'il est difficile de ne pas établir de lien entre la lecture qui est faite de la situation politique et la réponse qui y est apportée à travers le référendum et les élections anticipées. Autrement dit, on fonde une décision stratégique qui engage l'avenir du projet démocratique sur des éléments d'appréciation de la conjoncture politique ! Il semble que ce soit là, la motivation première qui commande l'agenda présenté. Sauf que l'on peine à comprendre par quel raisonnement l'agenda constitue une réponse, non seulement au climat de tensions que nous connaissons, mais plus encore à l'impasse politico-institutionnelle à l'origine du projet de réforme constitutionnelle. En d'autres termes, en quoi des élections anticipées, préparées dans la précipitation, par un gouvernement affaibli, sont-elles de nature non pas tant à répondre aux attentes et à la crise de défiance envers les institutions, mais à susciter une mobilisation autour d'une nouvelle réalité politique ? Qu'on m'en excuse, je ne puis me rallier à cette thèse qu'au prix d'un sérieux malentendu ! On confond allègrement l'urgence d'installer un climat de confiance avec la précipitation dans l'organisation des élections ! Convenons-en, cette approche n'est soutenable qu'au prix d'une reproduction de la réalité politique d'aujourd'hui ! En apparence plus « sécurisante » pour les partisans du statu-quo, elle ne le serait au mieux que conjoncturellement, compromettant sérieusement les espoirs placés dans le discours du roi et dans les mouvements de la rue ! Or, il est sans doute des approches plus sécurisantes pour le processus démocratique et le système politique dans son ensemble, que l'intérêt national nous enjoint d'envisager pour répondre à l'urgence, tout en œuvrant à l'instauration d'une confiance minimale qui ne se décrète pas, mais exige des décisions audacieuses et fortes, qui sont autant de gages de la sincérité des motivations. C'est là que se situe l'urgence ! Elle est dans une phase de transition qui préparerait dans la sérénité mais la détermination les esprits et les textes à une nouvelle ère politique que doit préfigurer la réforme constitutionnelle. C'est pourquoi j'incline pour ma part, en faveur d'une telle formule de transition, seule à même de crédibiliser de manière ferme mais impartiale, aux yeux d'une opinion désabusée, le passage à la démocratie, tout en ménageant le temps nécessaire à une maturation politique, préalable à l'entrée en fonction des institutions. Faire l'impasse sur une période de transition revient à banaliser la portée politique de l'ère nouvelle que nous appelons de nos vœux ! Quel gâchis !