D'origine marocaine, le major de l'armée de terre néerlandaise Mostafa Hilali a été élu « Other Manager 2010 », prix donné aux managers multiculturels qui utilisent leur double culture comme une force positive. Interview. Votre double culture représente-t-elle un avantage dans votre fonction de manager ? Le fait d'appartenir à deux cultures est important. Imprégné de traditions à la fois marocaines et néerlandaises, j'ai des attaches fortes dans les deux pays. J'ai grandi aux Pays-Bas, mes amis et mes collègues y vivent, c'est le pays pour lequel je travaille. Le Maroc est le pays de mes racines, de ma famille, un pays cher à mon cœur où je passe régulièrement mes vacances. Je me sens donc chez moi dans le monde ouest-européen, qui est celui des Pays-Bas, comme dans le monde oriental dont le Maroc porte l'empreinte. Que vous a-t-elle permis d'accomplir ? Dès l'enfance, j'ai appris à envisager chaque chose sous différentes perspectives. Il m'est ainsi plus facile de comprendre mes collègues, qu'ils soient néerlandais ou étrangers. Nous intervenons souvent hors des Pays-Bas, par exemple en Bosnie, en Irak ou en Afghanistan. Dans un tel contexte, savoir sympathiser et communiquer avec la population locale est indispensable. Cela a souvent été plus aisé pour moi car j'ai toujours dû tenir compte des différences culturelles, religieuses et sociales. Quelles leçons et pratiques de commandement militaire pourraient être transposées dans la vie civile et adoptées par les managers ? En tant que cadre militaire, j'indique à mes subordonnés les objectifs qu'ils doivent atteindre. Je ne dis pas comment ils doivent y parvenir. En leur laissant cette liberté, je leur permets d'exploiter leur créativité et d'orchestrer leurs propres activités au lieu de n'être que des exécutants. L'exemplarité signifie qu'un officier ne crie pas « en avant ! » mais « suivez-moi ! ». La solidarité, ou l'esprit de corps, est un élément essentiel du métier de militaire. Le sentiment insaisissable mais constant d'appartenir à un tout qui aide et renforce ses membres, qui, à leur tour, doivent le protéger et l'honorer. Ce sentiment encourage chacun à se surpasser pour réaliser l'impossible. Il est essentiel pour un cadre militaire de savoir susciter et entretenir un tel sentiment, afin que son unité soit capable d'accomplir sa mission. Quelle est votre image auprès des « Néerlandais de souche » ? A-t-il été facile de trouver une place aux Pays-Bas ? Il n'y a pas de « Néerlandais de souche », pas plus que de « Marocain type ». Les Pays-Bas ont une longue tradition de diversité et de tolérance envers les autres cultures, religions ou ethnies. Je n'ai donc jamais eu l'impression de devoir chercher ou conquérir une place dans ce pays. Je suis arrivé ici enfant et j'ai eu la même jeunesse que n'importe quel Néerlandais : l'école, le début de l'âge adulte puis de la vie professionnelle. Aujourd'hui adulte, je sers dans l'armée néerlandaise. Ce n'est pas l'armée des Néerlandais « de souche », mais celle qui protège tous les citoyens et résidents des Pays-Bas, sans distinction. J'en suis fier et je pense que certains pays auraient beaucoup à en apprendre. L'armée pourrait-elle constituer aux Pays-Bas un facteur d'intégration et d'ascension sociale pour les jeunes néerlandais issus de l'immigration ? J'en suis certain. L'armée offre la rigueur, la structure et les repères dont de nombreux jeunes, issus ou non de l'immigration, ont besoin et dont certains sont privés. L'engagement militaire peut donc avoir un effet bénéfique sur les jeunes en général. Par ailleurs, il est vrai que cela peut être pour les immigrés un moyen de s'intégrer mieux et plus rapidement. Des liens très forts se tissent lorsqu'il faut vivre et travailler ensemble, s'entraîner dans des conditions difficiles ou partir pour une mission réelle. La diversité des unités, qui rassemblent des groupes et des origines ethniques différentes, favorise l'interaction sociale.