Plus qu'un salon, c'est une immersion dans la stratégie Halieutis. L'événement intervient à un moment où le secteur halieutique connaît des reconfigurations à tous les niveaux, et légitime son rôle de lieu de rencontres entre professionnels, institutionnels et scientifiques pour communiquer sur la stratégie de développement du secteur de la pêche. Le consensus est quasi-général. Un salon de cette dimension manquait cruellement au paysage halieutique du Maroc et confirme sa vocation en la matière. Le salon Halieutis a réuni tout le gotha national du secteur. Plus de 6.000 visiteurs professionnels, dont une bonne partie de marins pêcheurs artisans, a effectué le déplacement lors de la première journée. Tout ce beau monde est venu s'enquérir de la stratégie Halieutis, de son état d'avancement et des différents changements à plusieurs niveaux qu'elle est en train d'induire. Les chantiers de 2011 Les exportations marocaines ont chiffré en valeur quelque 13 milliards de DH et plus de 1,2 million de tonnes. Quant aux actions planifiées pour l'année en cours, le Maroc entreprend avec dynamisme une reconceptualisation de son référentiel réglementaire. «De septembre 2009 à ce jour, nous sommes passés de 5% à plus de 60% de la ressource gérée. Nous avons, à ce titre, introduit récemment la surveillance par satellite VMS et nous sommes sur le point de publier le reste des plans d'aménagement des ressources. Ce qui nous permettra d'augmenter ce ratio à 95% au terme de l'année 2011», a affirmé Aziz Akhannouch, ministre marocain de l'Agriculture et de la pêche. En effet, plusieurs actions restructurantes sont menées actuellement par le ministère de tutelle : la loi sur les contenants normalisés, la loi sur le mareyage, l'aménagement en cours des VDP (Villages de pêcheurs) et la sortie des plans d'aménagement du pélagique (Stock C) sont, entre autres, les chantiers opérationnels pour l'année 2011. Aziz Akhannouch a également reprécisé la problématique des appoints. «Nous avons sélectionné 32 consortiums «Armateur-Industriel» dans le but de sécuriser les approvisionnements industriels. Nous sommes au stade des dernières retouches précédant le démarrage de cette opération qui devrait optimiser les capacités de traitement des unités industrielles de 40% actuellement à plus de 90%» a-t-il déclaré lors du point de presse organisé vendredi. Préservation des ressources et/ou aquaculture Il n'y a pas trente-six choix possibles, mais il y en a un ! Soit s'inscrire dans une approche privilégiant la durabilité des ressources halieutiques. Ou bien, dans l'hypothèse que le Maroc ne mette pas les moyens nécessaires pour le faire, il aurait eu le temps de développer des alternatives. Ainsi, au tout premier plan de ce premier rendez-vous international, l'aquaculture a retenu toutes les attentions. Scientifiques, professionnels et institutionnels ont échangé, pendant la durée du salon, sur plusieurs questions en rapport avec cette activité. Assez récente, la production marocaine a été de l'ordre de 220.000 tonnes en 2010. Et avec l'adoption de la loi autorisant la création de l'agence nationale pour le développement de l'aquaculture, ainsi que la signature d'une convention missionnant l'INRH (institut national pour la recherche halieutique) de mener des programmes de formation dédiés à l'aquaculture. Les couacs du secteur halieutique Les infrastructures portuaires et les revendications sociales font partie des couacs du secteur de la pêche au Maroc. Sur ces deux plans, le ministère de l'Agriculture et de la pêche tient le bâton par le milieu. Et pour cause, les deux problématiques dépendent en partie du ministère de l'Equipement et du transport, concernant la mise à niveau des ports marocains, et de la Caisse nationale de sécurité sociale, en matière de couverture sociale. Tout bien considéré, l'argument tient la route, s'agissant des infrastructures. Toutefois, pour le dossier de la couverture sociale et la couverture AT et MP (accidents de travail et maladies professionnelles), les responsables peuvent mettre au point au profit des marins pêcheurs artisans une solution similaire à celle dont bénéficient les salariés de la pêche côtière. Les termes de cette solution stipulent un prélèvement à un taux compris entre 4 et 7% de la valeur du poisson débarqué. L'ONP (office national de pêche), le «global operator» national joue le rôle d'intermédiaire pour la collecte de ces cotisations, puis les transmet sur un compte bancaire intitulé «Apports de pêche AT», en prélevant au passage 3% de rémunération. C'est là une formule à laquelle beaucoup d'observateurs trouvent pas mal d'avantages et assez peu d'inconvénients, à moyen terme en tout cas. «Dans l'optique d'une action visant à fédérer les marins pêcheurs artisans en coopératives afin d'atteindre un poids significatif, on pourrait déboucher sur une solution ad-hoc pour cette large frange de petits acteurs du secteur», pense une source proche du dossier. Ces deux questions sont en train d'engendrer des effets contradictoires jouant en défaveur du plan Halieutis. Dira-t-on, in fine, que des calculs politiques ont compromis le déploiement optimal de ce plan ? Agadir à l'heure africaine Agadir, capitale halieutique de l'Afrique, c'est l'une des ambitions à court et à moyen termes du Salon Halieutis. C'est ainsi que pour la première édition de ce «show room» international de la stratégie nationale de développement du secteur de la pêche, les organisateurs ont assuré des «Wild Cards» aux 22 pays africains composant la Comhafat (conférence ministérielle sur la coopération halieutique entre les Etats africains de l'océan Atlantique). Une délégation importante composée de ministres, d'autorités portuaires et de professionnels a fait le déplacement à Agadir. Objectif : favoriser une plus grande prise de conscience africaine concernant la préservation de la ressource halieutique au niveau des côtes atlantiques. Les pays africains, dont le Maroc, convergent vers une vision commune sur ce plan au niveau réglementaire. Cette coopération africaine a également un visage business. Plusieurs sociétés du continent sont venues exposer leurs produits de pêche aux industriels marocains. «Nous accompagnons, entre autres, des sociétés de pêche à la recherche de débouchés pour leurs produits», affirme Abdoul Hamid Sy, du port autonome de Dakar. Le paysage halieutique africain se structure de plus en plus. En 2010, la part de l'Afrique dans les exportations marocaines a atteint 42% pour les produits de la pêche et de l'aquaculture. Les ventes marocaines en produits frais et en farine et huile de poisson n'ont pas dépassé 1 et 3% respectivement. Tous ces efforts au niveau africain font de l'année 2011 une étape décisive pour pérenniser le secteur. Serait-ce également l'année qui verra une augmentation des échanges commerciaux entre le Maroc et les autres pays du continent ? «Assurément», pensent plusieurs participants africains, qui misent à l'unanimité sur l'effet Halieutis pour booster les échanges économiques en 2011. u INTERVIEW avec Hassan Oukacha, président de la Fédération des pêches maritimes «Le facteur humain est un élément-clé dans l'équation halieutique» Quel bilan faites-vous aujourd'hui du secteur de la pêche au Maroc, et quelles sont les vices et les vertus de notre stratégie en la matière ? On a toujours voulu disposer d'une stratégie claire concernant le secteur de la pêche. Notamment dans ce secteur où les intérêts sont différents, et parfois contradictoires. Mais une chose est certaine, c'est que le plan Halieutis défend des principes que personne ne peut contester. Quand on dit qu'on veut une pêche responsable, une pêche durable, plus de contrôle, un aménagement de toutes les pêcheries marocaines et en prime, une valorisation de la ressource halieutique nationale, il est difficile d'être contre. Pour la mise en application, il y aura des difficultés, ce qui est normal. Pour notre part, nous insistons pour que les grands principes véhiculés par le plan Halieutis soient respectés, mais que dans l'application, on s'adapte aux réalités du terrain. Il faut dans ce sens s'intéresser à l'homme. Ce n'est pas uniquement une affaire de poissons et de bateaux, c'est également et surtout l'amélioration des conditions de travail du pêcheur. Le facteur humain est un élément-clé dans l'équation halieutique. Son adhésion est d'ailleurs nécessaire à la bonne réussite de toutes les composantes du plan Halieutis. Quels sont les défis qui attendent le secteur dans le court et le moyen termes au Maroc ? Ce qu'il faut comprendre, c'est que donner l'accès à la ressource halieutique n'est plus un privilège qu'on accorde à ces pêcheurs. Les défis qui se dressent devant le secteur sont importants. Il y a d'abord le défi climatique : personne ne peut plus garantir le long terme, or les investissements que peut consentir un opérateur ne seront amortis que dans une optique de long terme. Il y a également un défi énergétique avec la hausse continue des coûts d'exploitation tirés vers le haut par un baril de pétrole de plus en plus cher. Il y a un défi environnemental avec un déséquilibre entre la capacité de renouvellement des stocks marins et l'exploitation actuelle. Il y a enfin un défi d'innovation, car cet atout fera la différence dans le contexte mondialisé. Quel est la pertinence d'une reconduction aujourd'hui de l'accord de pêche entre le Maroc et l'UE ? L'accord de pêche avec l'UE existe depuis que le Maroc a récupéré ses provinces du Sud. Il a toujours bien fonctionné. Actuellement, avec le statut avancé liant le Maroc et l'espace européen, cet accord est une des mailles qui lient l'Europe au Royaume. De plus, notre convergence réglementaire avec les exigences du marché européen est en phase d'achèvement. Ce qui me permet de penser que la coopération entre le Maroc et l'UE dans le secteur halieutique est arrivée à une phase de plein potentiel. Je pense dans ce sens qu'aussi bien pour le Maroc que pour l'espace UE, ce partenariat ne peut être que gagnant-gagnant. Voyez-vous des entraves exogènes à la bonne exécution de la stratégie Halieutis ? Pour que la politique de la pêche au Maroc réussisse, il faut qu'elle cesse d'être une politique ministérielle pour devenir une politique du gouvernement. Il est, par exemple, très difficile de mettre à niveau une pêche artisanale alors que les marins pêcheurs débarquent toujours sur des plages. C'est pour cela qu'il faut que d'autres ministères et administrations jouent le jeu : le ministère de l'Equipement pour l'infrastructure, le ministère de l'Intérieur et la Marine royale pour le contrôle, et ainsi de suite. Je pense que la mobilisation de tout l'écosystème décisionnel autour du secteur halieutique est une condition essentielle pour optimiser la stratégie nationale dans cette filière.