La peinture marocaine a débuté avec de grandes dames comme Regraguia Benhila, morte l'an dernier dans le plus total dénuement, Radia bent el Houssine, la mère de Miloud Labied, dont le travail et la finesse n'avaient pas de pareil, ou l'inénarrable Chaïbia qui a su la première donner ses lettres de noblesse à la peinture naïve marocaine. Si cette dernière était connue et reconnue, tel n'était pas le cas de Radia dont on attend encore une éventuelle rétrospective. Entre les deux extrêmes, une femme discrète, Fatima Hassan El Farouj, qui en partant emporte avec elle la dernière flamme de cette peinture sincère, brute, qui a réussi à se faire reconnaître comme un moyen d'expression unique sur le continent et au-delà. Fatima Hassan El Farouj était l'épouse de Hassan El Farouj, lui-même peintre qui l'initia à son art et qui sera toute sa vie durant son mentor. Initialement brodeuse, la finesse de ses gestes se retrouve dans sa peinture aux mouvements fins et précis. Une douce poésie pour les yeux. C'est grâce au livre «La Peinture marocaine» de feu Sijelmassi, paru en 1972, qu'une large palette d'artistes marocains vont trouver la légitimité qui leur faisait défaut, ou qu'on leur refusait. A partir de ce moment, chacun a accompli sa carrière, à son rythme, avec ses questionnements et son cheminement. Fatima Hassan El Farouj était tout entière dédiée à sa peinture. A Rabat où elle vivait et travaillait, elle n'était d'aucun cercle mondain. Une dame paisible, qui exprimait tout ce qu'elle avait à dire à travers ses œuvres. Il y a deux ans, un hommage lui avait été rendu à Tétouan, sa ville natale, dans le cadre du festival «Voix de femmes». C'était sa dernière apparition individuelle sur la scène artistique. Ses œuvres, elles, ont fait le tour du monde après avoir été dévoilées au public marocain. Le récent engouement des quadras marocains pour l'art a contribué à lui accorder une place importante dans le paysage global artistique et dans les collections les plus raffinées. On pourrait dire qu'elle est partie comme elle a vécu, dans l'humilité de la peinture et la discrétion d'une vie semblable à celle de Madame Tout le monde. Mais en partant, elle nous laisse en héritage sa peinture pour réfléchir à notre histoire récente et aussi pour méditer sur le brouhaha dans lequel on vit et dont certains n'arrivent pas à se départir. Comme quoi, on peut être un grand artiste, sans faire de bruit.