Quelle est la genèse de ce livre ? Cela remonte à loin. Quand j'avais 15 ans, en France, dans une fête de famille, Michel Jobert, qui était ministre, m'a offert son livre La rivière aux grenades. J'ai toujours vénéré les livres et je l'ai lu avec passion en apprenant qu'il était né à Meknès et qu'il avait vécu au Maroc. Pour moi c'est le point de départ de toute cette histoire et c'est aussi pour ça que l'on a tenu à ce que le testament moral de Michel Jobert soit en préface du livre. C'est après que j'ai appris que c'était un ami d'enfance du père de Malika Slaoui, mon éditrice.Venant du Burkina Faso où je suis né, je passais mes vacances à Marrakech, à la Mamounia. J'étais très privilégié et c'était un enchantement. Pour moi, le Maroc, c'était le Nord, la porte de l'Europe. Et depuis toujours, à chaque fois que j'ai lu un livre sur le Maroc, j'ai pris des notes. La vision du Maroc de ces artistes m'apportait tellement, que j'ai eu envie de la faire partager. Comment avez-vous choisi les personnages qui peuplent votre livre ? Dans mon enfance, on me faisait lire les livres de Colette, d'Henri Bosco (injustement oublié),… Et je me suis rendu compte que beaucoup de ceux que j'aimais étaient venus au Maroc, avaient parlé du Maroc. Ils sont venus à moi spontanément à travers des livres, des visites de musées et c'est sans fin. Ils se répondent l'un à l'autre, comme le groupe de Tanger autour Paul Bowles. Si tu lis Paul Bowles, tu découvres Jane Bowles, Tennessee Williams et plein d'autres. C'est spontané et c'est subjectif, je le revendique. Je deviens un peu le fil conducteur. Je suis le rassembleur de tous ces gens que j'aime. J'avais aussi envie de dire que le Maroc est un très beau pays et qu'on y est très heureux. Il y a un Maroc éternel et un Maroc moderne. Ce n'est pas un livre d'archives, il est très vivant. N'est-ce pas dû à la double narration ? Certainement. Comme j'ai choisi des personnages qui ne sont plus là, pour les rendre vivants, il fallait les rassembler autour de moi, les ressusciter en quelque sorte. En tous les cas, j'ai adoré faire ce livre. C'est aussi une recherche passionnante et une belle histoire d'amitié avec Malika Slaoui et la BMCI. Mourad Cherif a été vraiment partie prenante de ce livre. Combien de temps vous a-t-il fallu pour faire ce livre ? Cela fait 20 ans que je prends des notes dans l'idée de faire un livre un jour. Plus concrètement, le livre a nécessité trois ans de rédaction et un an de travail très dense avec Malika. On a fait toute une recherche iconographique ensemble. Et on a eu la chance d'avoir accès à la collection de livres anciens du père de Malika dans laquelle on a puisé. On a ainsi illustré le livre de photos anciennes et de gravures. On y trouve aussi vos peintures ? Quand j'étais enfant, en France, j'ai gagné mon poids en bonbons et chocolat en participant à un concours de dessin. C'est vraiment un rêve d'enfance. Cela fait 20 ans que je peins le Maroc. Certaines peintures ont été faites pour le livre. Ce sont les hommages aux peintres inspirés par la collection d'affiches orientalistes de la collection Slaoui exposée récemment au Jardin Majorelle. J'avais envie de transmettre ma vision des couleurs, des choses. J'ai peint le jardin Majorelle mais pas en bleu, en orange parce que certains jours c'est tellement ensoleillé que je le vois comme ça. Les autres peintures ont Marrakech pour sujet. Elles m'ont permis d'apprivoiser la ville, mon environnement. Il n'y a pas que Marrakech. Elles sont aussi liées à mes lectures. En lisant le texte d'Augiéras, sur Agadir, j'ai eu envie de peindre la baie d'Agadir. Parlez-nous des liens de votre famille avec le Maroc ? Je voulais montrer dans le livre que tous les personnages ont un lien fort avec le Maroc, qu'ils y aient passé quinze jours ou leur vie entière. Beaucoup de membres de ma famille ont vécu au Maroc. Un grand-oncle écrivait dans la revue Hesperis, un trésor de recherche ethnologique, un autre était éditeur chez Hachette et a publié des livres sur le Maroc, d'autres étaient botanistes, peintres. C'est un héritage et cela fait partie de l'hommage. A une époque où l'on nous fait croire qu'il y a des conflits entre civilisations, religions et autres, on voit dans le livre qu'il y a une harmonie entre les cultures et que l'on peut très bien vivre et apprendre ensemble. Les peintres étrangers sont à l'origine de l'Ecole de Tétouan. Ils ont transmis un flambeau et cela a suscité une génération de peintres marocains. Pareil dans l'écriture. Les Marocains ont apporté aux étrangers et inversement et cela donne quelque chose de très cohérent et très beau. Et ton Maroc que recouvre-t-il ? En France, il me manque quelque chose, une chaleur humaine peut-être. Au Burkina, il y a une souffrance liée à la pauvreté, à la diversification et il me manque aussi quelque chose. Alors que le Maroc, c'est vraiment l'Europe, c'est vraiment l'Afrique. Et j'y trouve tout ce qui me manque ailleurs. C'est une découverte sans fin. Au bout de vingt ans, j'ai encore plein d'endroits à voir, de gens à rencontrer. Mon Maroc c'est la découverte permanente. J'aime des endroits aussi différents que la médina de Marrakech ou Casablanca ou les montagnes du Toubkal, le désert,… Le Maroc est intemporel. Mon Maroc c'est le Maroc de l'éblouissement et ça on ne peut que le faire partager. Mon Maroc c'est aussi la chaleur humaine, la spontanéité. J'ai été touché au fil des années par de très belles rencontres quel que soit le milieu. Quand on partage le pain et l'huile d'olive, ce sont des moments extraordinaires. Le partage c'est aussi ce que le Maroc nous offre. C'est aussi un pays de cultures, amazigh, africaine, andalouse, c'est sans fin. J'aimerais que ce livre soit un point de départ pour le lecteur, que quand il découvre ou redécouvre un auteur, il ait envie de lire toute son œuvre… Comment s'est passée votre collaboration avec la Fondation BMCI ? Je suis allé voir Malika Slaoui avec le projet de livre et nous l'avons proposé à la Fondation de la BMCI. Dans l'édition, le soutien d'une institution est très important. Et cela n'était pas seulement un soutien financier mais un véritable accompagnement. Mourad Cherif et Karima Benabderrazik ont toujours été là. Avez-vous d'autres projets ? Ce livre n'est qu'une porte entrouverte sur plein d'autres choses. Il y a plein de visions que j'aimerais approfondir. J'ai énormément aimé cette histoire d'amitié et cette aventure éditoriale. Je voudrais continuer en alliant écriture et peinture. Il manque presque un CD de musique dans le livre et aussi la dimension olfactive. Le Maroc pour moi ce sont les couleurs et les parfums du jasmin, du galant de nuit,…C'est un Maroc gourmand, sensuel. Il faudrait aussi les gâteaux marocains, la pastilla et un patio avec une fontaine… Leur Maroc, regards d'écrivains, artistes, voyageurs, venus d'ailleurs Cet ouvrage offre un panorama de plus de soixante portraits d'écrivains, peintres, compositeurs, chanteurs et artistes occidentaux qui ont une place particulière dans le cœur de Mehdi de Graincourt et qui nous entraînent dans un voyage initiatique à travers le Maroc, couvrant trois périodes (avant 1912, de 1912 à 1956, de 1956 à nos jours): Tanger pour Paul et Jane Bowles, Agadir pour Ernst Jünger, Essaouira pour Orson Welles, Marrakech pour Yves Saint Laurent, Fès pour Anaïs Nin,… Artiste pluriel, Mehdi a su mettre dans ce livre sa petite musique personnelle à travers de courts textes qui racontent ses liens ou ceux de sa famille avec les illustres personnages qui peuplent son livre. Si Colette est présente c'est parce que sa grand-mère lui lisait ses œuvres. Quant aux peintres orientalistes, ils occupent une place de choix dans le livre parce que son grand-oncle, Emile Bernard, ami de Gauguin fut un des fondateurs de l'école de Pont-Aven. Son talent s'exprime également par une série d'hommages aux grands maîtres de la peinture (Delacroix, Matisse, Majorelle) et par sa vision picturale des lieux qu'il affectionne. Reproduites au fil des pages, ses peintures très colorées sont une ode au Maroc, son pays d'adoption depuis 20 ans. Ses œuvres d'art répondent aux illustrations d'époque, gravures inédites, affiches et peintures orientalistes, et photos contemporaines qui forment une mosaïque composant le Maroc de Mehdi, maintenant vivant les liens qui ont toujours uni les Graincourt au Maroc.